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Je me suis efforcé de dégager quatre types de données, chacune d’entre elles dans un ordre décroissant :
- Les données identitaires des collaborateurs
- Les situations pouvant mener à la désaffiliation, en partant des données théoriques sur le concept. (négatif)
- Les situations permettant d’éviter la désaffiliation.(positif)
- La situation des personnes seules et des couples
II. 1. Les données identitaires et familiales des collaborateurs :
C’est sous forme de deux tableaux que je les présente : les données identitaires dans l’un (numéro de l’entretien, prénom, âge, situation familiale, habitat, profession et revenus) et les données familiales dans l’autre (numéro de l’entretien, prénom, profession du père, profession de la mère, enfants en vie ou décédés et fratrie en vie ou décédée).
Les données identitaires des collaborateurs :
L’ordre choisi pour les recenser est l’ordre alphabétique des prénoms, pour permettre une recherche plus rapide sur le tableau ; le numéro d’ordre de l’entretien est conservé pour faciliter le retour à la transcription intégrale de la conversation.
Les couples sont séparés dans le tableau, mais ils conservent le même numéro d’entretien ; cette façon de procéder permet de comptabiliser et de comparer plus simplement les données concernant les hommes et celles concernant les femmes.
Pour les données sur l’habitat : je différencie appartement dans un immeuble collectif ou dans une résidence spécialisée pour personnes âgées (dans tous les cas, les personnes ont conservé leurs meubles), et villa ; l’ascenseur est signalé, c’est un élément important pour les personnes âgées qui ont souvent ou qui vont vers une réduction de la mobilité ; enfin la villa est signalée à étage parce que les chambres sont à l’étage, et que cela implique des déplacements dans l’escalier (cause de chutes ou d’incapacité à l’emprunter s’il existe une déficience physique.
Les professions Mère au foyer, et conjointe-collaboratrice sont notées sous ces appellations, mais elles sont d’existence et de reconnaissance récente ; à l’époque où ces dames les ont exercées, elles n’étaient pas reconnues.
J’ai délibérément choisi de ne pas faire apparaître le revenu exact ; j’ai indiqué cette notion pour connaître le revenu moyen des personnes rencontrées, et constater aussi celui des femmes ; j’ai simplement pris une base que j’ai donné à titre indicatif aux collaborateurs, en leur demandant dans quelle tranche ils situaient leur revenus. Les revenus qui chutent après la prise de la retraite pour les hommes, chutent encore de moitié pour les femmes si elles se retrouvent veuves et n’ont pas travaillé, cette baisse de revenus peut avoir une influence sur le maintien du réseau social, une collaboratrice l’a rapporté.
Les données familiales des collaborateurs :
J’ai repris le même ordre pour les prénoms que dans le tableau précédent pour introduire des informations sur la famille des collaborateurs. La profession des deux parents qui peut donner une indication sur le niveau de vie ou le milieu social de la personne dans son enfance ; les enfants et la fratrie, en vie ou décédés, éléments constituant les rares liens sociaux dont disposent les personnes âgées. Ces éléments n’ayant pas tous été recueillis lors de l’entretien, c’est à l’occasion de la remise de la transcription que j’ai complété ces informations, sauf pour les personnes que je n’ai pas pu revoir.
II. 2. Les données négatives
Ce sont les circonstances qui influent négativement sur le mode de vie des personnes rencontrées ; elles sont rapportées comme un poids supporté douloureusement et qui met la personne en danger de désaffiliation. Le discours sur ces évènements est toujours narré sur un ton monocorde avec émotion.
Les données sur la solitude
Pour extraire ces données des textes de récit, j’ai procédé à une relecture avec une grille comprenant les mots ou les phrases qui pouvaient faire émerger la situation d’isolement social, d’ennui et d’exclusion. Puis les adjectifs qualificatifs tels que : dur, seul. Et enfin les mots et groupes de mots tels que : ennui, suicide, solitude, manque d’amour. Une fois repérés les textes qui ramenaient à ces mots, et devant le poids tendu des certains témoignages, au lieu de faire paraître les signes dans un tableau, j’ai choisi de les restituer en listant les collaborateurs qui les avaient prononcé, et ensuite j’ai recherché collaborateur par collaborateur tous les signes inclus dans le texte et je les ai regroupé. La solitude est la situation dans laquelle le lien a disparu, est faible ou n’a pas été reconstitué ; elle est provoquée par un désordre dans l’échange auquel nous sommes en permanence confrontés, et notre quête de restitution recherché dans la relation conviviale représente la valeur éthique de la spontanéité du don. Le passage en solitude est une transition dans un état psychologique qui entraîne une grande souffrance et l’état de solitude qui est un manque de dépendance positive. Plusieurs causes peuvent entraîner la solitude des personnes âgées : culturelles, sociales, économiques ; ces effets pourront être observés dans les différents tableaux de données.
Les données sur le réseau social
Pour avoir une image instantanée de l’état du réseau social appartenant aux personnes interrogées, j’ai recensé les différents acteurs du réseau, par collaborateur, sur un tableau. J’ai choisi de différencier le réseau formel du réseau informel pour deux raisons : la première, c’est que les collaborateurs ont très peu invoqué le réseau formel, celui ci n’intervenant que sous sa forme de service commercial et très peu d’acteurs participants sont impliqués dans une relation de lien social fort avec les personnes âgées (c’est une donnée qui serait en train d’évoluer, les institutions d’appartenance des ces acteurs leur recommandant justement d’être à l’écoute des aînés, de mettre en place un réseau qui puisse assurer une continuité dans les soins) la seconde, qui découle de la valeur de la première, c’est parce que le réseau informel est souvent plus chargé de sens et véhicule plus d’émotions. Il est couramment admis que les personnes âgées ont une vie sociale assez intense, du moins pour ceux qui ont des enfants, des parents, des amis qu’ils voient souvent, d’une part, et d’autre part, ces relations sont souvent coupées de longs moments de solitude ; elles n’ont pas tous les contacts qu’elles désirent, et plus elles avancent en âge, plus elles peuvent vivre un sentiment d’isolement.
Les données sur les accidents familiaux et sentimentaux
Ces données concernent les pertes de personnes aimées, ou les conflits familiaux qui ont émaillé la vie des personnes et qui font partie des moments émotionnels forts ; ces drames continuent d’habiter les personnes qui les relatent avec émotion et souvent avec précision (« comme si c’était hier ! ») Ce sont les pertes d’enfants, l’absence d’enfants, les pertes de conjoint et de personnes proches, le divorce, l’éloignement des enfants et de la famille. Dans ce cas aussi, l’extrait des discours des collaborateurs permet de prendre la mesure des déchirures vécues, qui continuent à « négativer » leur bien-être ; ces blessures sont aussi ravivées par le fait de la réduction du réseau social. L’affectivité chez les personnes âgées, si elle se déchire à ce moment là (la vieillesse), c’est un état de solitude ; l’affectivité change de sens.[1] Le deuil signifie la perte par la mort d’un être cher comme un parent, un enfant, un conjoint ou un ami proche. Le deuil est un fait de la vie courante pour la personne âgée. La mort du conjoint après des décennies de vie commune représente un choc et un ajustement énormes. La mort de l’animal de compagnie de la famille est une source de deuil. La période deuil dure de un à quatre ans. Certains aspects du deuil durent toute la vie et font preuve d’un attachement continu à la personne décédée.
Les données sur les accidents de santé
Ce sont des accidents qui deviennent plus fréquent par l’effet du vieillissement sur l’organisme, qui ont des conséquences plus lourdes par l’effet de l’âge ; des conséquences de santé et des conséquences sociales : les chutes, les interventions chirurgicales, le cancer, les pathologies anciennes aggravées par l’âge ; il était important d’extraire les contextes narratifs pour montrer les dégâts collatéraux entraînés par ces accidents.
Les données sur la stigmatisation
Bien que les personnes âgées se défendent de subir le phénomène de la stigmatisation liée à leur âge, il faut rechercher dans les discours ce qui peut émerger et tendre vers la stigmatisation. C’est une des réponses les plus difficiles à donner par les collaborateurs, parce qu’elle n’émerge pas souvent et la réponse à la question directe est pratiquement toujours négative. Il est courant dans la pensée occidentale de penser à la charge que représente la personne âgée, surtout par les temps qui courent où le mot d’ordre est : économie. Economie dans le système de santé et économie dans le système de retraite ; et les personnes âgées sont concernées par les deux : au figuré pour le système de santé (ils ne consomment pas plus que la population générale à pathologie égale, et n’ont pas d’arrêt de travail), et au propre dans le système de retraite. « Par la stigmatisation des vieux dépendants, c'est toute la vieillesse qui se trouve stigmatisée, vieillesse qui, par un glissement des représentations sociales dominantes, est maintenant assimilée à dépendance. »[2]
Les données sur la fin difficile de la période de travail
Ce sont des situations rencontrées par les collaborateurs à la fin de leur carrière professionnelle ; elles ont laissé des traces négatives, une non reconnaissance de leurs efforts de toute une vie dans le travail au moment stigmatisant du passage de productif à celui d’improductif. Ce sont des faits qui ne concernent que la personne, le réseau social éventuel ne les connaît souvent pas, mais ils mettent en jeu la notion de dette et de mérite : « je perçois une retraite (solidarité) pour laquelle je n’aurai pas prouvé mes mérites ! » L’effet négatif renvoyé par cette situation donne un sentiment profond d’injustice qui laisse une sensation d’inaccompli, et l’impossibilité de justifier ce qui pourrait être reproché injustement au retraité par la société. Ces données mettent en cause les moyens sociaux de la reconnaissance de soi et de son identité.
Les données sur le suicide et l’approche de la mort
Les causes du suicide des personnes âgées sont connues :
- La perte de l'estime de soi : je ne vaux plus rien, j'embarrasse ;
- L’inhibition, qui elle peut protéger d'un passage à l'acte.[3]
Les trois premières causes m’intéressent, elles correspondent à la sociabilité de l’individu, au véhicule de son image, à sa représentation, et l’on peut se demander pourquoi la société et ses institutions pratiquent des interventions décisives pour pallier le suicide des jeunes, et laissent faire le suicide des aînés, car à l’inverse du suicide des adolescents, la personne âgée est souvent déterminée : le taux des tentatives de suicide diminue avec l’âge, alors que le taux des suicides augmente avec l’âge. Le taux des suicides des personnes âgées est particulièrement élevé (en rapport avec l’âge), et le taux des tentatives faible ; les personnes âgées mettant fin à leur vie sont particulièrement décidées à le faire ; elles ne cherchent pas à appeler au secours, d’ailleurs qui appelleraient-elles ? Et quand bien même elles appelleraient au secours, elles savent que la personne contactée n’aura pas le temps et la disponibilité de s’occuper d’elle. Les personnes qui ont évoqué le suicide, en évoquent la possibilité, elles ont une arme à disposition ; il faudra rechercher ce qui mène à cette pensée ; ont-elles « manqué leur mort »[4]? Telle cette vieille dame qu’évoque Ivan Illich, que l’Etat soignant ne pouvait laisser tranquille, dont les agents crochetèrent la serrure à temps pour lui administrer des antibiotiques, ou bien est-ce que cette pensée vient à l’esprit pour soulager une souffrance, du moins l’abréger.
L’approche de la mort, du moins le discours de la personne sur sa propre mort sera recueilli ; pour savoir si « les gens souffrent d’une incapacité à mourir…peu sont capables d’envisager leur propre mort dans l’espoir qu’elle apporte la dernière touche à une vie active, vécue de manière intransitive »[5]
II. 3. Les données positives
Dégager de ces entretiens des récits de vie positifs ; ce que B.Cyrulnik nomme les « petites années » : les années entre 10 et 30 ans, si elles ont été favorables à l’épanouissement de la personne permettraient de passer les vieilles années en bonheur. Un peu en relation avec les parcours de vie atypiques qui démontrent une volonté de bouger, de connaître le monde, d’agir dans la société propre à ceux qui l’ont décrit ; des moments de souffrance aussi qui ont pu permettre aux personnes de se construire, de rebondir.
Chez les personnes âgées, l’affectivité est encore, bien sûr, tout à fait importante, mais elle se maintient moins dans les apprentissages ; elle se maintient, elle change de signification à cause de la représentation du temps. et si elle se déchire à ce moment là, c’est un état de solitude ; l’affectivité change de sens.
Les « petites années » des collaborateurs
Pour déterminer ce qui peut apparaître en relation avec le concept des « petites années », j’ai réalisé un tableau avec les données extraites de cette période de vie, entre dix et trente ans, qui concerne les collaborateurs, huit d’entre eux ne se sont pas exprimés de manière explicite sur cette période de leur vie; mais le tableau reflète quand même ce postulat.
Les parcours de vie atypiques / résilience
Les parcours de vie atypiques nommées ainsi sont les chemins qu’ont pris certaines personnes durant leur vie qui ne sont pas communs : voyages découverte des autres modes de vie ; ce type de développement peut permettre d’être plus sociable et curieux ; la curiosité est ce qui permet d’apprendre et de se transformer tout au long de la vie.
La résilience est assurée quand une personne a subi des déchirures dans son affectivité et qu’elle les a acceptées et surmontées ; ces accidents ne sont pas oubliés, simplement acceptés et la vie a continué. « Ce qui donne la force de résilience, c’est le sentiment d’appartenance et la coordination autour d’un but. On est convaincu d’y arriver, il y a un sens pour l’homme d’être là, et cette capacité ne disparaît pas avec l’âge, on peut douter de la résilience seulement après l’âge de 118, 120 ans »[6] Des recherches menées en collaboration avec le C.N.R.S. (Centre National de la Recherche Scientifique), dans un groupe de recherche sur la résilience chez la personne âgée, montrent qu’il est possible d’évoluer et d’apprendre encore des styles affectifs vers 70, 80 ans, elle est plus lente que chez un enfant où les apprentissages sont fulgurants ; tant qu’on vit, on peut apprendre, mais on n’apprend pas de plus en plus vite.
L’environnement est un élément déterminant du développement humain, qui se perpétue jusqu’à la mort, et selon l’environnement de leur parcours de vie, la qualité de ce parcours, les accidents subis, les aînés auront un développement différend, « Dans le monde vivant, l'avantage de la néoténie est que l'homme peut biologiquement continuer à façonner son cerveau, sous l'effet des pressions de l'environnement »[7]
II. 4. La situation des personnes seules et des couples
Il était nécessaire de différencier les personnes vivant seules des personnes vivant en couple, pour rechercher si les situations de vie étaient distinctes.
La situation des personnes seules vivant à domicile
Beaucoup disent que vieillir seul est insupportable, que les personnes redoutent de vieillir seules. Bien des recommandations disent de chercher l’âme sœur quel que soit l’âge pour profiter de la vie, redémarrer une vie sentimentale, et ne pas vieillir seul (e). Il y avait deux catégories de personnes vivant seules, celles résidant dans leur domicile indépendant, et celles résidant, avec leurs meubles, dans un appartement d’une résidence pour personnes âgées, pourvue de services tels que restaurant, coiffeur, esthéticienne, et conservant les relations avec le médecin traitant.
Quelles sont les relations que peut entretenir une personne seule, y a t’il des différences entre hommes et femmes seuls ?
La situation des couples
Il sera peut-être intéressant de voir si les couples vieillissent bien ensemble et si le fait d’être deux renforce le lien social ; l'amour peut s'amenuiser, s'étioler, les idées, les envies et les objectifs diverger ; bien que le poids du quotidien peut peser très lourd ; de même, certains évènements familiaux peuvent troubler l'harmonie première ; dans un couple de personnes âgées les attentes prioritaires des femmes sont dans le « plus » : « plus de voyages, plus de contacts sociaux, un mari qui s'implique davantage dans sa relation avec ses petits-enfants, et aussi que l’homme devrait se débarrasser des archétypes masculins de virilité (ils étouffent leurs émotions et compensent en vivant leur agressivité, leur self-contrôle, leur pouvoir et leur domination de manière plus forte, comme pour se démontrer à eux-mêmes leur propre virilité) il devrait apprendre à mieux gérer ses sentiments et exprimer ses émotions en intégrant certaines valeurs culturellement connotées comme féminines. »[8]
[1]Cyrulnik Boris (29, 30, 31 janvier 2004) In Colloque Vieillissement et Résilience « Ces petits vieux qui rebondissent ». Salon de Provence.
[2]MARTIN-SANCHEZ Marie Odile (Janvier 1999 - février 2001) De l'assistance à la reconnaissance de la personne vieillissante. In Maîtrise en Sciences de l'Education, option : Educabilité cognitive et actes d'apprentissage. Université PARIS XII Val de Marne. Faculté des Sciences de l'Education et Sciences Sociales.
[3] Blond Jean-Claude. Suicide des personnes âgées : halte à l’indifférence ! Site ouaibe : http://www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2003/mag0131/dossier/ps_6432_suicide_ seniors_indifference.htm
[4] Illich Ivan (2004)La perte des sens. Fayard. Paris. p. 112.
[5] Illich Ivan. Op. cit. p. 278.
[6] Cyrulnik Boris. Résilience (6 mai 2004) Entrevue avec Marie-France Bazzo. In Indicatif Présent. Radio Canada.
[7] Cyrulnik Boris (2004) In Cyrulnik Boris, Morin Edgar. Dialogues sur la nature humaine. L’Aube poche essai. Editions de l’Aube. La Tour d’Aigues. p.24
[8] Repond Jacques (Décembre 2002) Bien vieillir au masculin. P.S. Info n°4. Pro senectude Suisse. Vevey.
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