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I N T R O D U C T I O N
Laugmentation en nombre et en pourcentage des personnes âgées est le reflet du vieillissement de la population, phénomène prévu par les démographes qui ont décrit ce quils nomment la transition démographique (TD); baisse de la natalité et accroissement de la longévité ne pouvaient quaugmenter la population des anciens.
Dans mon activité de soignant dans un service daccueil urgences, je vois arriver ces personnes qui sont nos aînés, quelquefois seules, quelquefois amenées contre leur gré, mais souvent pour attendre les soins bien plus longtemps que les personnes plus jeunes. Ces anciens sont désorientés, hors leur milieu de vie, et allongés sur un brancard peu confortable puisque réservé aux soins durgence ; ils patientent ainsi de longues heures pour obtenir un retour à leur domicile ou bien une place dans un service dhospitalisation non adapté (cest souvent un service de médecine qui les reçoit, le service de gériatrie ou les services spécialisés sont souvent occupés au maximum de leur capacité). Ces situations pénibles, que nous subissons aussi en tant que soignants, sont liées à de nombreux manques dattention : de la famille, du médecin traitant, de linstitution qui reçoit et de celle qui envoie ce patient. Ces conditions ont orienté mon choix vers la gérontologie ; après une formation de psychogérontologie et de psychogériatrie, jai modifié mon regard et mes attitudes envers cette population ; jai tenu à assurer une continuité dans ma démarche en cherchant à prodiguer dune part, des conseils au sein dune association de prévention en santé, mais les actions vers les personnes âgées nétaient pas la priorité du moment, et, dautre part, en voulant créer un centre local dinformation et de coordination (CLIC) : pour ce projet (qui sest effectivement réalisé sans ma participation 3 ans après) les institutions contactées nétaient pas prêtes à collaborer ou ne voyaient pas la nécessité de cet outil efficace, dont, et cest un paradoxe, les fonds pérennes alloués par le ministère étaient renvoyés par les organismes locaux de tutelle (dautres collègues avaient projeté louverture dun CLIC en zone rurale, et navaient pu obtenir quune réponse laconique des administrations de tutelle concernant le déblocage et lattribution de ces subventions).
Mon mémoire de fin détudes en psycho gérontologie portait sur les facultés de mémoire des personnes âgées non démentes ; il me fallut rechercher la documentation sur le sujet et jéprouvais beaucoup de difficultés pour la simple raison que la majorité des recherches dans ce domaine étaient axées sur les personnes âgées démentes ; je voulais simplement comprendre le phénomène sur la population âgée majoritaire et saine desprit ; mes conclusions étaient différentes des idées apparemment acquises dune possible déficience du système mnésique survenant avec lâge, car, hormis un ralentissement de lidéation, les structures mémorielles sont fonctionnelles. Les risques déficience sont surtout dus au manque de stimuli des organes des sens et de labsence dun projet de vie après la retraite et lors du grand âge ; cest alors que je me suis posé la question de lisolement social chez les personnes âgées, isolement que je ressentais dans le cadre de ma profession.
Pour démarrer cette recherche, après avoir intégré ce cursus en sociologie, je suis parti de lhypothèse de désafférentation ou de désaffiliation sociale des aînés. La décision concernant lintitulé de ce mémoire a fait partie de la problématique de cette recherche.
Le vieillissement est une transformation, la vieillesse est un état. Nous souhaitons tous atteindre létat sans subir de transformation. Cest un dilemme, comment entrer dans la vieillesse sans rencontrer les phénomènes qui transforment le corps, et ralentissent lidéation ?
Dans les médias, le jeunisme flatte une beauté qui montre ses maigreurs et dont le modèle idéalisé a tendance à suggérer la norme ; la vente des substituts nutritifs anti-vieillissement nous captive avec lespoir de suspendre le temps, de retarder lentrée dans lâge de la vieillesse ; la vieillesse est un temps de passage dans la vie de lêtre humain quil convient de parcourir et daccepter. La mondialisation standardisée du corps objet ne doit rester quun leurre, elle a tendance à gommer lindividu, et nous avons besoin des individualités pour former une société.
Le troisième âge est une appellation créée pour différencier la classe dâge des plus de soixante ans, nous aimons catégoriser et souvent les catégorisations appellent les discriminations, il est facile de critiquer et de dénigrer une catégorie. Notre société bâtie sur lautel de la rentabilité a tôt fait de stigmatiser les seniors qui, non contents de profiter dune manne financière (le versement des pensions de retraite), ont laudace dêtre les premiers bénéficiaires du système de santé sans participer de manière active à son financement, ils ne sont plus dans le circuit de la production. Rien de plus facile en effet, que de se laisser aller à stigmatiser cette catégorie de la population par des raccourcis ridicules : ils nous coûtent et ils ne nous rapportent rien ! Un détail aggravant apparaît sur le devant de la scène, nos aînés ont connu la transition démographique qui sest réalisée chez nous, et ils nont rien mis en place pour pallier ses conséquences ; ce phénomène augmente proportionnellement leur nombre, et ils risquent de détenir un pouvoir de pression sur les décisions politiques futures.
Pour rester objectif, il sera nécessaire de communiquer avec des aînés daujourdhui, pour tenter de découvrir ce qui représente leur vie quotidienne, ce qui les a menés jusquici ; formulent-ils un projet pour leur dernier temps de vie, eux qui savent si bien parler de leur passé ? Ont-ils la vie dorée qui leur est prêtée, ont-ils ce pouvoir qui leur est attribué, ont-ils un regard différend sur les autres ? Lenquête menée auprès deux tentera de dégager les tonalités individuelles afin de percevoir si la différence qui leur est attribuée est une réalité.
Betty Friedan1 plaide pour une vieillesse qui serait un troisième âge qui vive son propre rythme, qui aurait sa place dans le monde du travail, qui vive une sexualité sans honte et qui bénéficie dune médecine qui soit, non la conservation de la vie à tout prix, mais un accompagnement vers sa fin.
Les aînés nous transmettent une histoire, un savoir ; ils nous rapprochent de nos origines, il ne faut pas quils soient déliés du chaînon de la vie ; ils sont mémoire et transmission. Eduardo Galeano2 nous dit bien limportance du souvenir : « Dans Jours et Nuits damour et de guerre, je me demandais si la mémoire pouvait nous rendre heureux. Je nai toujours pas la réponse. Dans le roman dune écrivaine nord-américaine, il est question dun arrière grand-père qui rencontre son arrière-petit-fils. Larrière grand-père na plus aucun souvenir. Il est devenu « gaga ». Larrière-petit-fils, lui, na pas encore de souvenirs car il vient de naître. En lisant ce roman, je pensais « voilà le bonheur parfait ». Mais je ne veux pas de ce bonheur là. Je veux un bonheur qui naisse de la mémoire et qui se construise en se battant contre elle. Je veux un bonheur qui en sorte endolori, meurtri, blessé mais qui y prenne sa source ».
Le vieux, cest lautre ; il peut être décrit trois images de la vieillesse : la vieillesse ingrate à connotation négative, la vieillesse épanouie, à connotation positive et limage de la grand-mère. La vieillesse ingrate, représentation sociale partagée, est une image paradoxale, les personnes âgées ne sy identifient pas et mettent en jeu une stratégie qui évite cette appellation. La vieillesse, objet social, est acceptée comme représentation cohérente et solide alors que cette représentation na pas de sujet. Ca rappelle la représentation sociale de la folie ou du handicap, cest à dire laltérité »
Le terme « agisme » identifie les préjugés relatifs au vieillissement et aux personnes âgées ; comme le racisme, il repose sur une source de discrimination sociale à base de fausses croyances et de généralisation abusive. Pour transformer les comportements face à des attitudes stéréotypées, il convient dinformer sur la place quoccupe la personne âgée dans notre société pour améliorer son statut.
Jai choisi de développer cette étude en trois parties qui concernent la problématique, la méthodologie et lenquête elle-même.
La problématique est abordée sur la question du choix du titre du mémoire, pour continuer sur lhistoire des personnes âgées depuis lantiquité jusquà nos jours et leur augmentation en nombre, et, pour finir, avec le phénomène de la désaffiliation sociale qui les touche.
La méthodologie est axée sur trois points : la préparation de lenquête, lanalyse des données, puis léthique et la portée de létude.
Lenquête tente de décrypter parmi les récits des collaborateurs ce qui peut être en relation avec la désaffiliation, les éléments qui peuvent y mener. La perspective théorique sattache dans un premier temps à vérifier le postulat de Robert Castel envers le concept de désaffiliation sociale ; vient ensuite la typologie de la population enquêtée et enfin labord de la substance de lenquête : les moments difficiles, les petites années et la résilience, les personnes seules et les couples.
1 Friedan Betty. (1995) La révolte du 3e âge. Albin Michel. Paris.
2 Boel Niels. (janvier 2001). Tous les mondes dEduardo Galeano in le Courrier UNESCO.
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