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III.La substance de l’enquête : les moments difficiles

    Il n’y a pas de personnes âgées heureuses ou malheureuses, isolées ou insérées, il n’y a que des contemporains qui mènent leur vie qui va s’achevant ; toutes ont un  passé grâce auquel s’est forgé avec plus ou moins de bonheur la suite de leur vie. Des paroles recueillies, se détachent certains signes qui montrent la désinsertion sociale qui cerne les personnes âgées, principalement celles qui vivent seules. Les parcours de vie différents et riches colorent ces recueils d’information et semblent désigner certains signes de résilience, en tous cas beaucoup d’entre ceux et celles qui ont bien voulu me parler ont souffert dans leur vie, et ont su rebondir et poursuivre leur parcours. Toutes les conversations se sont tenues dans un calme feutré, il n’y a pas eu de hausse de ton, les rires seuls sont venus ponctuer certains entretiens.

     Leurs prénoms évoquent, pour certains d’entre eux, la mobilité qui s’est réalisée en Europe au cours des derniers siècles, pour les autres l’enracinement dans une France traditionnelle, et pour tous, ils montrent la réalisation de la mixité qui a rendu possible cette rencontre différenciée.

     Très peu d’entre eux sont originaires du département, ils s’y sont installés lors de leur retraite, soit sur demande de l’un d’un membre de la famille, soit parce qu’ils avaient des attaches familiales locales, soit parce qu’ils venaient régulièrement en vacances dans le département.

     Ils ont tous voyagé, par agrément ou pour leur travail, quelquefois dans des lieux très éloignés (Asie, Afrique, Amérique), ce qui n’était pas courant à l’époque où ils l’ont fait.

     Les personnes rencontrées étaient toutes dans leurs meubles, même si ce n’était qu’une partie de ces meubles dans le cas de deux qui vivent en résidence.

     Les entretiens se sont déroulées dans ce qui m’a semblé être leur lieu de vie favori, le salon, la salle à manger, avec ma place naturellement désignée, sur un canapé, sur une chaise, accoudé à une table, en face à face, ou bien aux côtés de la personne visitée. J’étais dans une situation proximale idéale pour recueillir leur témoignage.

III. 1. Le poids de la solitude

     C’est chez les personnes seules que ce sentiment s’est exprimé avec plus ou moins d’intensité.

a)      Angèle qui vit seule dans son appartement et ne conserve parmi sa famille qu’une relation avec une nièce qui réside dans un autre département assez éloigné de Perpignan. Elle parle de la disparition d’êtres chers: « Voilà au bout de 22 mois mon mari est mort, il y a 18 ans et demi » : le décompte exact du temps écoulé depuis la mort de son époux démontre le fait qu’Angèle doit souvent y penser, et quantifier le vide qu’à produit cette disparition. « J’avais des frères, malheureusement ils sont tous partis  et moi qui suis l’aînée, je suis restée ; Mon frère le plus jeune est parti il y a 9 ans, ma sœur 19 ans, mon autre frère 7 ans, l’autre 5 ans, et moi qui suis l’aînée, je suis restée toute seule. » Ici aussi le décompte exact  à rebours des années de disparitions des êtres chers est donné dans le rythme de la conversation, sans pause. Angèle n’a pas d’enfants, et a vécu un drame : elle a perdu un bébé à l’âge de 14 mois et vit encore son deuil. Elle parle de voisins qui lui proposent de faire les courses : « je suis à la merci des voisins s’ils veulent me porter du lait… J’ai les voisins là, à côté, bon ils sont là ; Ils m’ont dit si vous avez besoin de quelque chose, venez marquer, faire la liste, mais vous savez, c’est dur, c’est dur. » elle parle aussi d’une dame qui lui faisait le ménage et les courses, mais ce n’est pas seulement pour ce motif  qu’elle l’employait : « elle est entrée ici me faire 2 heures par semaine, c’est pas pour le ménage, non, c’est pas pour ; C’est pour avoir un soutien » Angèle aime beaucoup son appartement et à l’évocation d’une résidence pour personnes âgées elle a une réponse fulgurante, elle a du y penser, ou le sujet a été abordé car elle dit : « Mais non, ça me dit rien d’aller dans les maisons là, non, je suis, je me sens bien chez moi, la seule chose, ce qui me manque c’est l’amour de quelqu’un à moi, de, et malheureusement j’ai perdu tous ceux que j’aime »

b)      Bernard vit seul en appartement ; il a vécu de douloureuses relations conjugales ; il fait part de troubles mnésiques qui sont en fait de petits oublis et qui n’ont en rien altéré cette rencontre. Il a un fils qu’il voit de temps en temps qui réside dans un village proche de Perpignan. Il ne voit que rarement sa fille qui vit en Isère. Il attend sa mort, Bernard a été l’un des rares à évoquer sa fin de vie «autrement bon, ben, alors je m’ennuie, puis ma foi, j’attends d’aller au trou ». Il se plaint de sa solitude, et pense de temps en temps mettre fin à ses jours : « Ce qui fait que moi je suis seul ici, bon, ben des fois j’ai le moral à zéro, quoi. Des fois je pense à prendre mon pistolet, à me suicider, mais enfin c’est pas une solution après tout ce que j’ai fait finir comme ça c’est pas normal, voyez-vous » Il souffre de surdité et porte un appareil auditif : « Je me fais du souci parce que chez moi je le mets pas (Bernard me parle de l’appareil auditif) pour parler aux murs » Après cette triste ironie il relate des problèmes de santé et dit : « Voilà tous les ennuis que j’ai aujourd’hui. Ah! C’est pas drôle d’être tout seul, vous savez »

c)      Armina qui réside seule dans un appartement est d’origine allemande et si son accent reste prononcé, il n’y a pas eu de difficulté pour l’entretien. Malgré un soutien religieux (elle appartient à un groupe religieux et nomme les membres de ce groupe comme ses frères et sœurs) elle dit : « qu’une femme, malade, âgée, on la met sur le côté, hein! Parce que, Oh ! Tout le monde, tout le monde ; J’avais une voisine, là, elle savait que je suis très malade, elle n’aura jamais venu demander : vous n’avez rien besoin, ça va, est ce qu’il y a des commissions ? Jamais, jamais, jamais. » Armina insiste sur la ségrégation faite aux femmes   « Mais autrement, vous savez, c’est vrai, euh, les femmes on les met de côté parce qu’elles sont malades on s’occupe plus d’eux, c’est ça malheureux, vous savez » et avoue se sentir seule « Quelquefois je me sens seule, oh! Mais après je reprends vite le dessus »

d)      Jacqueline réside dans un coquet appartement, elle vit seule entourée de sa fille qui réside à proximité et qui lui rend souvent visite. Malgré cet entourage elle ressent de l’ennui : « Alors, je vis, je vis. Je mange quand j’en ai envie, quand j’en ai pas envie, je mange pas, euh, je me lève quand j’en ai envie, je me couche quand j’ai envie ; Tant que je me lave encore, c’est bien. Je m’ennuie, oui, beaucoup. » Elle pense de temps en temps à se supprimer : « j’en ai envie d’être là, je vous le dis, jusqu’au jour où je peux attraper mon revolver, c’est là que c’est plus grave ;  J’y ai pensé, plus d’une fois, comme ça, quand j’ai des contrariétés, vous voyez, de, il fait nuit »

e)      Simone vit seule dans un petit appartement d’une résidence spécialisée pour personnes âgées ; sa sœur occupe elle aussi un appartement dans la même résidence. Elle dit qu’elle est entrée en solitude après le décès de son époux : « et là, ma vie a basculé, je suis rentrée dans la solitude » et elle reprend plus loin en parlant au passé : « Je n’ai pas d’enfants, c’était une très, très grande solitude, grande » Elle a ressenti cette solitude en insistant sur le mot « seule », un peu plus loin quand elle évoque l’enterrement de son époux : « Notez bien qu’à l’enterrement de mon mari, les 80 étaient là, heureusement, je n’avais pas de famille, j’étais seule, j’étais seule, seule, seule »

f)        Marie-Rose qui habite un petit appartement dans une résidence pour personnes âgées, a eu une vie passionnante, difficile, elle a élevé ses enfants seule ; elle n’a pas parlé de la solitude durant l’entretien, mais, lors de la remise de la transcription écrite, et juste avant que je la quitte, elle m’a pris le bras et m’a dit : « vous savez, j’ai repensé à cet entretien, et je me suis rendue compte que je ne vous avais pas parlé de la solitude ; c’est très pesant »

g)      Jeannine qui réside seule dans un petit appartement d’une résidence spécialisée pour personnes âgées, n’a pas parlé de solitude, mais son récit est empli de regrets sur la vie avant qu’elle emménage dans cette résidence, et elle a très peu de rapports sociaux avec ses co-locataires : « Comme aussi, je suis revenue l’été dernier, 3 mois, mais ça posait problème pour avoir quelqu’un, pour, euh… Ah ! J’étais contente quand même (rires) J’ai été élevée là-bas toute jeune, j’ai fait mes études là-bas, j’ai fait toutes mes amies là-bas… Je regrette ce village, enfin, regretter… J’y pense quand même, j’avais la maison, y a encore toutes mes affaires là-bas »

Les couples n’ont pas ressenti de sentiment de solitude, mais certains l’ont évoquée.

h)      Jean A époux de Dolorès  l’a évoqué après avoir parlé de toutes leurs occupations : « voilà, vous voyez qu’on est occupé, hein! Je pense que c’est difficile quand les personnes âgées sont seules. C’est ce qu’on se dit, vous voyez si un de nous deux reste seul, on y pense à ça et on se dit : il faut pas y penser, on verra bien, il faut solutionner le problème par l’oubli »

i)        Léa épouse d’Ildefonse, évoque la solitude du couple face à la difficulté de rencontrer le voisinage : « J’ai un suivi d’amitié de Paris qui ne me quitte pas, et je les sens, je les sens constamment, ici on n’a pas réussi à se faire des amis, quelques relations mais pas des vrais amis, et ça, ça me manque beaucoup, quoi. »

     Ces personnes ont fait remonter et exprimé leur souffrance vis-à-vis de la solitude, contrairement à ce que démontre le rapport Forbes[1] ; il est vrai que le type de l’entretien semi directif a peut-être favorisé l’émergence de leur vécu. La souffrance qu’elle soit supportée par beaucoup, affrontée par quelques-uns et peut-être voulue par Armina qui est une fervente croyante, va jusqu’à suggérer l’élimination physique du suicide à Bernard et Jacqueline ; c’est la représentation ultime de notre impuissance devant l’inhumanité que nous projette cet acte, notre défaite devant la vie, non pas biologique, pour elle nous avons des réanimateurs, mais pour la vie sociale ; peut-être une nouvelle profession : réanimateur social ? Et si ce type de réanimation existait, en quoi pourrait consister l’acharnement thérapeutique ?

     La faible quantité de rapports sociaux d’Armina, peut expliquer cette solitude, mais c’est aussi du côté de la qualité de ces rapports qu’il peut y avoir explication du phénomène, Léa évoque cette difficulté de communiquer avec son voisinage et de créer un réseau social amical et regrette le réseau qu’elle a laissé à Paris. En général, ce sont les femmes qui ont rapporté plus douloureusement leur solitude, alors que chez les hommes seul Bernard parle de son isolement. Maurice a clairement exprimé son bien-être dans la solitude ; il vit seul dans son appartement, et  il loue ses enfants qu’il voit une ou deux fois par semaine : « Et depuis que je suis veuf, heureusement que j’ai mes enfants, mais maintenant, je suis habitué ça va, mais tout de suite, hein! » Il laisse quand même transparaître une supposition : heureusement que j’ai mes enfants. Et s’il ne les avait pas ? Il ne sort plus de son appartement depuis deux ans, sauf en de très rares occasions quand son fils vient le chercher pour une consultation spécialisée.

III. 2. Le réseau social des collaborateurs

     Il était important de recenser le réseau social des personnes rencontrées ; en effet le nombre et la qualité des visites ou des rencontres que les collaborateurs peuvent avoir permet de quantifier le degré de solitude, et ceci, avec ou sans plainte sur leur isolement. Les relations décrites sont celles du réseau informel (Voir Annexe 9) et du réseau formel (Voir Annexe 10)

III. 3. Les accidents de la vie sentimentale et familiale

     Sous cette appellation, j’ai recensé toutes les déchirures qui peuvent parsemer un parcours de vie, les déchirures du cœur ou de l’âme selon les personnes. Il faut dire que j’ai particulièrement été frappé par la dureté des épreuves de certains, et par leur capacité à continuer malgré tout leur chemin. En relisant ces passages, je pensais au phénomène de résilience et à la faculté de se reconstruire ou de se construire plus simplement quelles que soient les circonstances difficiles de certains passages de vie.

a)      Angèle a subi un grand traumatisme lorsqu’elle a perdu son enfant en bas âge, et faute de deuil correctement accompli, ou bien le décès de son mari s’est ajouté à sa peine, Angèle a parlé de cet enfant comme si son décès était récent. Elle n’a pas eu d’autres enfants. Elle pense a son enfant comme à un petit, et sait qu’il aurait 65 ans aujourd’hui. Elle a construit un scénario qui comble ce vide douloureusement perçu, il consiste en l’achat de poupons, et elle identifie l’un d’entre eux comme étant son fils, elle lui souhaite ses anniversaires, lui a acheté une gourmette en or, et l’appelle mon petit ; elle a des conversations avec ses poupons ; en quelque sorte elle a mis en place une stratégie adaptée à son isolement et sa peine : « J’ai eu un enfant, je l’ai perdu à quatorze mois, donc il aurait 65 ans mon petit, c’est pour ça que j’ai tout ça (montre son poupon et ses poupées), c’est un garçon… alors quand je prends ce petit et que je le mets contre moi j’ai l’impression d’avoir mon petit, malgré que ça fait loin, hein!... Alors ça m’a manqué dans la vie ça ; Mon mari était super, mais ça m’a manqué l’amour d’un enfant… Alors voyez ce que j’ai (Angèle montre le poupon et les poupées), ça me remplit la vie parce que je les prends, je les serre, je leur parle, vous voyez ; Comme on dit, c’est la vie, c’est la vie, mais, c’est dur, hein! » Angèle a perdu son mari qu’elle aimait beaucoup, elle commence l’entretien avec cette phrase : « Ma vie a été heureuse, j’ai eu un gentil mari », cette perte est fortement ressentie ; le couple était venu s’installer à Perpignan pour passer une retraite au soleil et prés de l’Espagne qu’ils aimaient tous les deux : «jusqu’au dernier jour où mon mari a été en vie on a parlé espagnol hein ! Il n’a jamais parlé français, on a toujours parlé espagnol », et son mari est décédé peu de temps après leur installation : « Voilà et au bout de 22 mois mon mari est mort ». Le traumatisme de perte d’un conjoint est important, une personne avec qui l’on a vécu toute une vie, avec qui l’on échange.

b)      Bernard a traversé des problèmes conjugaux importants qui l’ont marqué : «Voilà, ce qui m’a marqué beaucoup, c’est, bon, mes problèmes familiaux parce que je m’étais marié assez jeune, et puis j’ai eu 2 enfants, un garçon et une fille, et au bout de, au bout de 5 ans de mariage ma femme a commencé à me tromper, alors je l’ai surpris un jour…comme j’étais armé parce que j’avais le holster, j’avais une revolver, enfin un pistolet automatique, j’ai failli les tuer tous les deux , après cet épisode, il a refusé de se séparer de son épouse, et évoque ses enfants en bas âge, et son expérience : « mon fils avait 5 ans, ma fille avait 3 ans, bon puis j’ai pas voulu les, j’ai pas divorcé monsieur, moi, je suis moi-même fils de divorcés ça m’a marqué ça vous voyez et c’est ma mère qui m’a élevé avec ma grand-mère alors » ; il a attendu que ses enfants soient élevés et a pris la décision de divorcer : « j’ai attendu que mes enfants soient élevés, qu’ils soient grands…il y a eu un constat, constat d’adultère…j’ai gagné mon procès…ça m’a marqué aussi quoi » Ce constat d’échec dans sa vie de couple a profondément marqué Bernard ; plus tard un de ses anciens collègues qui s’était remarié, lui suggérait de faire de même, mais il n’a pas voulu, il avait 52 ans à l’époque : « J’ai eu des occasions que j’ai pas exploitées ; Vous savez, on fait des bêtises, hein ! Y a rien à faire, j’avais plus confiance, j’ai dit bon, ben c’est pas la peine parce que je me suis marié j’aimais beaucoup ma femme, et puis alors quand je l’ai surpris un jour, c’était physique, je pouvais plus la toucher…j’en sais rien, voyez, là aussi, mais c’était, quelque fois c’était plus fort que moi, je pouvais plus la confiance était partie, quoi. » Longtemps après, Bernard a pris sa retraite et sa mère, qui avait de faibles ressources, est venue vivre avec lui dans une villa qu’il avait acheté à Perpignan. Sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer moins d’un an après et s’épuisant dans sa tache d’aidant, sur les conseils de son médecin, il décide de la placer dans une résidence spécialisée, après avoir fait de gros sacrifices financiers : « comme là-bas c’était très cher…j’ai été obligé de revendre ma maison de Catalunya, puis de prendre un, je suis en location et puis j’ai été obligé de revendre une propriété à côté de Saint-Lô à Soule, j’avais un hectare de terrain avec des arbres fruitiers » Malgré ces efforts consentis à l’égard de sa mère ? Bernard regrette de l’avoir éloignée de lui «Mais j’ai regretté parce que j’ai eu des remords de l’avoir mis là-bas, ça, ça me tue… je sais qu’elle est morte en m’en voulant, en m’en voulant, ah, si, je le voyais bien » Peut-être se sent-il en dette envers cette mère qui l’avait élevé seule en compagnie de sa grand-mère « c’est ma mère qui m’a élevé avec ma grand-mère », peut-être aussi regrette t’il d’avoir écouté la directrice de la maison de retraite, et espacé ses visites à sa mère : «J’allais la voir souvent et puis un beau jour la directrice m’a dit, écoutez, monsieur, il faut pas venir si souvent votre maman elle est agitée quand vous partez, alors, j’ai espacé » En tous cas, Bernard éprouve du remords et avoue y penser souvent.

c)      Armina a été mariée trois fois avec des hommes qui sont décédés tous les trois d’une cirrhose du foie ; elle garde un amer souvenir de ces expériences conjugales : « il faut jamais croire à quelqu’un qui boit »

 d)      Jacqueline a perdu un amour de jeunesse quand elle avait 16 ans, y pense encore, et a très mal vécu ce décès : «j’ai travaillé chez un docteur, enfin j’ai travaillé, j’ai pas travaillé, j’étais son amie, hein… et du jour où cet homme est mort… pour moi ça a été un tel déchirement, vous savez, moi, je l’avais connu, j’avais 16 ans, il avait 22 ans de plus que moi… La preuve vous voyez j’en parle encore au bout de tant d’années et je le vois, dans mes yeux, je le vois comme si c’était hier ; J’ai failli me suicider. » Elle a été ensuite mariée deux fois : « mon premier mari… Il est mort à 58 ans d’avoir trop… » Jacqueline ne termine pas la phrase, pour ne pas dire que son mari buvait. Elle reparle de ce premier mariage un peu plus loin en amenant l’interlocuteur à comprendre qu’il ne fut pas heureux : «J’aimais pas mon mari, non, et lui, je crois qu’il m’aimait pas non plus ; Lui, je l’avais sauvé des allemands, c’était une reconnaissance… Mon premier mariage a été catastrophique parce que c’était comme ça ; Je suis quand même restée 19 ans, pour ma fille… » Jacqueline parle d’un frère qu’elle n’a pas connu et qui est décédé un mois après la naissance ; elle ne semble pas trop avoir été marquée par cet évènement. Elle dit au début du récit : « donc mon père avait une fille, parce que j’ai ni frère ni sœur » et une demi heure plus tard : « mon petit frère était mort à 1 mois, alors, il était né en 13, je ne l’ai pas connu » en se souvenant que l’on parlait souvent de ce frère chez elle : «Mes parents en parlaient de ce petit frère »

e)      Marthe et Henri ont perdu un enfant, mort-né et Marthe avait fait une fausse couche d’une grossesse de quatre mois et demi. Ils ont eu deux enfants ensuite. Mais Marthe semble penser à ces deux accidents dramatiques : «  un enfant mort né avant, avant une fausse couche de 4 mois et demi ; Moi, j’y pense » Henri lui répond à ce moment là : « moi non ! » et Marthe de poursuivre : « Le premier mort né, hein! Pardon, j’étais à la clinique. Bon, ma mère est morte en couches, alors mon père, il y aurait eu 50 docteurs, il en aurait voulu 51 ; Il avait très peur. La première fois quand j’ai fait le... Je me souviens, quand j’ai fait l’enfant mort né, bien entendu, je pleurai »

f)        Simone a eu deux maris et une expérience malheureuse avec le premier qui l’a abandonné seule sur une île des Antilles, sans plus lui donner de nouvelles, elle a divorcé longtemps après pour se remarier ; son premier mari lui préférait la mer : « il adorait les bateaux, il a toujours, c’était sa passion, c’est la mer ; Je crois qu’une femme peut lutter contre une autre femme, mais pas contre la mer… mon premier mari que je n’ai jamais revu, jamais » Elle regrette de na pas avoir eu d’enfants : « C’est mon mari qui n’a pas voulu d’enfants, moi j’ai fait 3 fausses couches voulues par lui »

g)      Olga a souffert de la perte de son mari : «j’ai perdu mon mari… il est mort il y a 20 ans maintenant »

h)      Léa qui est atteinte  d’une grave déformation de la colonne vertébrale n’a pas eu d’enfants, peut-être mal informée par un médecin qui lui avait déconseillé une grossesse : « j’me suis mariée quand même figurez vous, et puis euh, on a pas eu d’enfant, c’est à dire que je pense qu’on aurait pu en avoir » Ildefonse : «on a mal été conseillé ». Léa : «  euh, le docteur m’avait dit : bon, mais si ça doit pas trop vous priver, euh, il serait peut être mieux, mieux de pas avoir d’enfant » Ildefonse : « ils nous a découragés ». Léa : « parce que c’est mon regret et ça on en a beaucoup pâti toute notre vie quoi…vous voyez donc, moi , par contre, euh, j’aurai peut être quand même essayé d’avoir un enfant, mais moi je crois que euh, je me serai jamais, j’aurai eu 9 mois vraiment de, de, d’inquiétude, j’aurai eu peur, parce que j’aurai eu peur, qu’il soit mal formé, qu’il vienne pas au monde normal, qu’il ait un bras euh, qu’il ait un bras mal formé, je crois que j’ai eu trop peur, j’aurai trop peur de ça, parce que moi ayant souffert pas mal de, de.. que j’aurai pas voulu qu’un enfant puisse subir la même chose » Ils ont aussi souffert du jugement des autres du fait qu’ils n’aient pas eu d’enfants. Ildefonse : « vous savez, les gens, ce n’est pas pour faire du mal, mais un jour on nous a dit : vous êtes égoïstes »

i)        Marie-Rose a eu une expérience amoureuse et un premier mariage décevants, elle n’a pas trop développé l’histoire mais assez pour évoquer son malaise : « J’ai connu, euh, un garçon, à l’hôpital, qui était un ancien séminariste, et, euh, j’étais très jeune, je n’ai pas, euh, je n’ai pas vu les, les dangers, euh, et naturellement, euh, les choses ont été assez, assez graves dans ce sens que, euh, ce séminariste, euh, n’avait pas les mêmes, ne vivait pas d’une façon aussi normale qu’un ménage pouvait vivre, vous voyez, euh, il partait très souvent, euh, pendant des semaines, et puis après j’avais appris des, certaines choses ; Et puis nous avons, il a toujours été correct, mais enfin, euh, c’était, c’était une vie assez, euh, assez, euh, embêtante (rires). » Et s’est retrouvé veuve de son second mari qui a été tué en Algérie ; elle avait alors trois enfants de 15, 12 ans et six mois, et ses deux parents qui étaient alors très âgés. Elle a souffert de la disparition de son époux qu’elle aimait beaucoup : « nous avions un ménage très, très uni, j’avais un mari qui n’était pas du même milieu que moi, mais qui était un homme très intelligent et qui m’avait redonné confiance »

j)        Jean D a des souvenirs de parents fatigués et malades, son père, après avoir possédé une boulangerie, a du travailler comme ouvrier, est décédé à l’âge de 60 ans, Jean D avait 10 ans ; sa mère était dépressive : « Mon père, je ne me souviens pas de confidences, je, j’avais 10 ans quand il est mort, il était très fatigué, il était boulanger, donc à ce moment là, on brassait la pâte à la main, fallait remuer 100 kilos ; Moi, je me souviens d’un père, très vieux, il est mort à 60 ans… Maman était déjà fragile au point de vue santé mentale… j’ai le souvenir d’une mère malade, dépressive, très dépressive ». Réjane a un mauvais souvenir d’une aventure arrivée à sa maman durant la dernière guerre, elle vivait seule avec sa mère, son père a été fait prisonnier et enfermé dans un stalag : « toujours est-il que du côté de maman, euh, j’ai un souvenir très dur qui, euh, on a fait l’exode avec maman…et là encore, euh, jouait la séduction qui m’a fait détester certains types de, d’hommes, euh, un bel officier avec des grandes bottes qui baratinait maman, vous voyez, je sentais ma mère en danger, ce qui m’a rendu… Maman, alors, euh,  ne voulait pas parler du tout de ce genre de choses, euh, par contre, euh, j’étais très discrète »

     Dans le couple, l’acte « don / contre don » est constant, et s’il y a une rupture brutale dans cet échange (d’autant plus qu’il durait souvent depuis longtemps), le lien rompu est d’autant plus difficile à supporter. Certains ont pu reconstruire une vie sociale, d’autres liens, ainsi Olga est fortement impliquée dans une association, ce qui lui a donné l’occasion de nouer d’autres liens qui la mobilisent. D’autres, comme Angèle, après avoir subi une première perte avec son enfant, souffrance suivie de regrets de ne as avoir eu d’autres enfants, a perdu son époux et s’est retranchée dans un silence social, elle a reconstitué une vie sociale virtuelle avec ses poupons.

III. 4. Les accidents de santé

     Sous ce vocable sont rassemblés les expériences négatives qui ont pu diminuer l’autonomie des personnes, toute perte d’autonomie pouvant exclure du milieu social. Il y a les chutes, les accidents, les maladies, les pertes sensorielles, c'est-à-dire les accidents de vie et les aléas du vieillissement.

a)      Angèle a subi plusieurs interventions ou hospitalisation suite à des fractures ; elle a diminué son périmètre de marche, elle sort très peu. « J’ai été opérée 4 fois ; La première opération, une prothèse, à 64 ans quand je suis rentrée, je suis rentrée en septembre on m’a opéré en novembre de la même année ; J’ai eu une autre, une demi prothèse, parce que la 1e au bout de 17ans il a fallu refaire… Et maintenant il y a 9 mois que je suis tombée en faisant le lit… Je mets le pied dans le tapis, je m’allonge… à l’hôpital, on me dit : vous vous êtes cassé la jambe ; Bon, on m’a opéré, j’ai passé 17 jours à l’hôpital avec des complications dans les intestins et tout, on croyait qu’on allait m’opérer aussi de l’intestin, parce que je sais pas ce qui s’est passé je suis restée 13 jours sans manger, sans boire au mois de mai et le docteur avait peur, il croyait qu’on allait m’opérer des intestins…le vent m’a fait tomber une fois, à 140 km/h il était, il m’a fait tomber là sur la grande avenue où passe le bus, j’ai eu pendant trois semaines une bande là, enfin comment on dit ça sur l’épaule, pas la clavicule, euh, je m’en rappelle pas… Alors bon, alors ça me fait peur de sortir seule parce que je me sens pas la force dans les jambes à sortir seule » Elle a aussi un problème de vision, elle peut à peine lire : « Ma vue a faibli un peu, parce que j’ai la rétine malade et la rétine on peut rien faire »

b)      Bernard est handicapé suite à deux interventions du secteur laryngé décidées après un cancer sur sa thyroïde : « J’ai été opéré d’un un cancer de la thyroïde… le professeur G. il m’a dit je suis obligé de vous réopérer » et regrette cette seconde opération, responsable d’après lui et d’après un second chirurgien des ses soucis laryngés et auditifs : « mais je n’entendais plus de celle là (Bernard me montre l’oreille gauche) puis quand je lui en ai parlé, il a toujours louvoyé, parce que moi j’ai mon franc parler, je lui ai dit, écoutez professeur, vous auriez pu au moins me conseiller parce que là j’entends plus, alors il m’a dit c’est l’âge, mais il paraît que non, j’ai un autre chirurgien que je connais, je lui en ai parlé, il m’a dit vous n’auriez pas du vous laisser opérer parce que vous avez eu 2 fortes anesthésies en 3 jours et c’est certainement ça qui, alors là, je porte un appareil, oui, mais là j’entends plus du tout (Bernard me montre l’oreille gauche) celle là a 50% (Bernard me montre l’oreille droite) oui, mais tout ça, ça me, vous savez, j’ai eu tellement d’épreuves que j’ai du mal à refaire surface. Et puis alors, évidemment, on m’a fait de la radiothérapie, je voulais pas non plus, je voulais pas non plus et j’ai mes cordes vocales qui sont ratatinées » Bernard a eu des malaises : « un jour je me suis effondré ici, là, j’ai du avoir un truc cardiaque alors bon ils sont venus tout de suite » et se plaint aussi de troubles mnésiques : « Pour mes troubles de mémoire je prends des compléments alimentaires, vous voyez, je dis, je me lève, et puis à peine je me suis levé je ne me souviens plus pourquoi, vous savez, c’est très frustrant ça, alors là, bon, j’ai pris des compléments alimentaires… je bégaye, je, enfin, je bégaye pas, mais je cherche mes mots quelquefois », de problèmes intestinaux : « j’avais de polypes et puis j’avais des diverticules puis j’avais des hémorragies » a subi une chute de vélo (il ne fait plus de vélo depuis) : « Je suis tombé de vélo, j’ai rupture de la coiffe des rotateurs et puis j’ai rupture de l’attache des deltoïdes, alors là, constamment j’ai mal là, d’ailleurs, j’ai donné mon vélo à mon petit-fils ; Je faisais du vélo, j’allais très loin, puis un beau jour j’ai dérapé, je suis tombé » et se plaint d’arthrose : «j’ai de l’arthrose, regardez, comme quoi, je peux plus peindre, vous voyez, regardez, le chirurgien voulait me raboter tout ça, j’ai pas voulu, vous voyez, alors, bon, je mets du cuivre, ça guérit pas mais ça soulage un peu, quoi »

c)      Armina a de graves problèmes de santé ; elle était une grosse fumeuse, plus de quatre paquets de cigarettes par jour, et garde des séquelles respiratoires importantes avec un oxygénothérapie de soutien, et une corticothérapie qu’elle peut difficilement prendre en raison d’une probable allergie à la cortisone : «  j’ai fumé mes 4 paquets de cigarettes par jour, quelquefois 5… J’ai perdu 20 kilos, mais avec toute cette cortisone je prends, alors j’ai grossi par la cortisone, et j’ai arrêté 8 jours, ça commençait ça grattait, l’allergie, alors je prends la cortisone… Ça fait 14 mois, hein ! Alors, j’arrête quelques jours, je recommence, c’est terrible. J’ai des nuits, sur le fauteuil, au canapé, et du canapé sur le fauteuil, on peut pas dormir » Armina a eu une expérience hospitalière pénible suite à une plaie importante à la jambe après une chute : «Alors j’ai eu cet accident (A. me montre sa jambe)… 10 semaines on passe hôpital, 4 opérations plus les greffes » Elle a aussi de gros problèmes de vision : « Je ne peux pas lire, je ne peux plus rien faire parce que je vois plus grand chose, j’ai des lunettes mais je peux pas changer, parce que cet œil ne voit rien, et l’autre je vois un petit peu, mais enfin, pas beaucoup non plus »

d)       Jacqueline a eu de graves ennuis de santé : « j’ai eu un cancer mais je suis là malgré tout… J’ai des belles cicatrices, oui (J. me montre sa poitrine) » et a souffert de cette amputation, d’une part comme atteinte à son intégrité, d’autre part à cause d’une réflexion de son époux : « comme j’avais pas une grosse poitrine, de toutes façons c’est pas dramatique, c’était pas dramatique, et, à la suite de tout ça, évidemment, quand je me suis réveillée, tout ça, je me suis tâtée, bon, ben, j’avais plus de sein, hein! Et quelques jours après je lui dis : on mettra une prothèse ; Ah! Il (le chirurgien) m’a dit : non, pas question… mon mari était très axé sur la poitrine et ce qui m’a foutu, alors, euh, un coup de marteau, c’est qu’un soir, je m’approche, il me regarde et il me dit : attends, il faut que je m’habitue. Oh ! (silence) Alors, ça, ça, ça m’a fait mal » Elle a eu aussi une hystérectomie et une annexectomie qui n’ont pas gêné sa féminité : « Et ça ne m’a gêné en rien, mais quand les femmes s’imaginent qu’elles ne vont plus avoir de, comment dire, de relations agréables, c’est là (J. me montre sa tête) que ça se passe, c’est pas ailleurs » Elle a perdu la vision d’un œil : « J’ai perdu un œil, j’ai fait une macula, alors j’ai vendu la voiture »

e)      Simone a eu des ennuis cardiaques, et la malchance de se retrouver hospitalisée dans le lit où son mari est décédé : « j’ai fait une crise cardiaque, une sérieuse, et je me suis retrouvée dans le lit où mon mari, à l’époque, y en avait que 3, l’hôpital, là, maintenant, on est en haut, parce que j’y vais, bon vous voy…mais, j’étais en bas, en bas, au rez-de-chaussée où y avait encore des petits pépères qui étaient devant, et là je me suis retrouvée dans le lit où mon mari était mort ; Ca ne m’a pas arrangée » Elle a par la suite fait un autre malaise cardiaque et subi un curetage de carotide. Elle ne veut plus voir de chirurgiens : «avec mon docteur, je lui ai dit que je voulais pas voir de chirurgien, parce que ils m’ont infecté, on m’a enlevé la vésicule et ils m’ont infecté la vessie. »

f)        Maurice qui se plaint peu en général, est tombé lors d’une hospitalisation en clinique pour ablation d’une tumeur, et s’est fait mal à la hanche, qui le fait toujours souffrir 15 ans après : «J’étais à la clinique et puis, je suis tombé à la clinique (rires)… j’ai voulu me lever trop tôt du fauteuil et puis, je suis tombé par terre, je suis tombé sur la hanche là… Avant ça allait quand même à peu prés, mais plus ça va, et plus ça me gène maintenant ; Ca va faire bientôt, ça va faire presque 15 ans hein! Que c’est arrivé, alors »

g)      Olga souffre d’arthrose et se plaint de ne plus pouvoir faire de grands déplacements à cause de cette pathologie : « maintenant j’ai moins de facilité du fait que je souffre beaucoup des reins, j’ai mal, très mal dans le dos, j’ai de l’arthrose, et je, je dois faire davantage attention à cause de, à cause de ça. »

h)      Maria a été opérée de la hanche, et se déplace très difficilement, Albert : « elle peut pas marcher sans ça (Maria se déplace avec un déambulateur), hein ! Elle a des broches dans la cuisse là. »

i)        Léa souffre d’une malformation de sa colonne vertébrale qui n’est pas congénitale, mais qui n’a pas été prise en charge durant son enfance ; elle a du être longtemps hospitalisée lors de son adolescence, en a souffert toute sa vie, et maintenant présente des problèmes respiratoires et a besoin de l’assistance d’une bouteille d’oxygène : j’ai une très grosse déformation de la colonne vertébrale qui m’a pris étant enfant, c’était la période de la guerre 39 45, bon, ben, mon père étant prisonnier, tout ça, dans une ferme, euh, ma mère n’a jamais, disons voulu, si je peux me permettre le terme, euh, me faire soigner ; Pour elle, euh, c’était pas une maladie… Mais j’ai attendu un an après la guerre) pour aller à Berck plage… je suis restée 3 ans en hôpital héliomarin à La Rochelle, j’avais 18 ans, de 17 à 20 ans, quoi, 17 ans et demi, 20 ans et demi… J’ai passé 3 Noëls là bas, tout le monde partait dans les familles, moi, mes parents n’étant pas riches, n’ayant pas d’sous, j’avais personne pour me… pour m’envoyer un peu d’sous pour partir ; Alors ça, ça marque quand même, alors 3 Noëls là bas… c’est maintenant que j’en subis les conséquences maintenant, parce que plus on, bon, quand on vieillit, on se tasse, plus je me tasse, plus ma cage thoracique se resserre, plus mes poumons sont enclavés et moins je respire, et voilà, d’où maintenant : oxygène, machine à respirer la nuit et tout le bazar »

j)        Jeannine a des problèmes de colonne vertébrale qui l’handicapent pour se déplacer, elle ne supporte pas la station debout longtemps : «J’ai senti que je vieillissais quand j’ai commencé à avoir des problèmes, après mon opération du dos » et des problèmes cardiaques : « j’ai eu des problèmes au cœur, j’ai eu les coronaires dilatées 2 fois », et ces problèmes lui donnent des pensées négatives : « Je me dis : maintenant, je suis vieille, tant pis (rires). Ca signifie, que je ne peux plus avancer, c’est le cas, c’est mon gros problème, ça, je vaux pas grand-chose »

III. 5. De la stigmatisation

     Certains des collaborateurs ont évoqué la stigmatisation de leur âge, en des termes peu agressifs, mais avec une nostalgie du temps passé où le respect aux anciens était plus courant d’après leurs dires.

a)      Armina se plaint du sort réservé aux femmes : « Ah! Tu sais, la vie ! Mais autrement, vous savez, c’est vrai, euh, les femmes on les met de côté parce qu’elles sont malades on s’occupe plus d’eux, c’est ça malheureux, vous savez ; Je ressens beaucoup ça » 

 

b)      Albert, parle des relations amicales et familiales qu’ils avaient : « J’ai une nièce qui habite dans l’escalier et une autre qui habite euh, pas loin de chez vous; Voilà ; Puis on avait des amis, aussi », Maria intervient pour signaler que ces rencontres se font plus rares et qu’elle s’adressait aux personnes âgées quand elle était plus jeune : « mais des jeunes plus jeunes que nous, et vous savez que nous, on est malades et vieux, ça les intéresse pas prendre la parole avec nous, parce que c’est pas intéressant parler de maladie de vieillesse, c’est compréhensible, eux sont plus jeunes. Quand j’étais jeune, je parlais aux vieux »

c)      Léa, à cause de sa déformation a eu à subir des remarques dans sa jeunesse qui la marquent encore aujourd’hui : «Ma maladie m’a ennuyé toute ma vie, surtout au niveau moral quand j’étais jeune, parce que vous savez, bon, j’ai jamais pu m’habiller comme tout le monde, euh, bon déjà, toute jeune ; Vous savez, j’ai commencé à en souffrir à La Rochelle, quand j’étais en rééducation, euh, un jour j’ai eu une bombe qui m’est tombée dessus, vous savez quelqu’un cherchait quelqu’un, et on dit : mais non, c’est la chambre 4 vous avez un étage, ah je vois pas ! mais si, mais si, c’est la chambre où y a la petite bossue, alors là, ce jour là, j’ai cru qu’une, qu’un gros caillou m’était tombé sur la tête, et c’est ce jour là que j’ai commencé à me regarder dans une glace, un glace à 3 faces pour voir comment j’étais »

III. 6. Les difficultés à l’arrêt du travail

     Le passage à la retraite peut être une cause de souffrance pour les personnes qui se retrouvent au terme d’une vie de travail avec un bouleversement de leurs habitudes, de leur réseau social, et qui plus est, ce moment a pu mal se passer avec un arrêt du travail avant l’âge prévu.

a)      Bernard a cessé son travail de sa propre initiative pour des raisons politiques ; il travaillait au ministère de l’intérieur : « J’ai fait ma carrière, j’ai fini en 80 au ministère de l’intérieur, j’ai fini en 85, je suis parti parce que c’était devenu trop politisé, en 85, donc je suis né en 21, j’avais 63 ans j’aurais pu faire encore 3 ans, peut-être même 5 puisque  j’étais chef de service »

b)      Armina n’a pas eu d’aide pour faire valoir ses droits à la retraite, elle a vécu avec un revenu misérable, jusqu’à ce qu’elle rencontre une dame qui s’est occupée d’organiser ses papiers pour qu’elle puisse faire valoir ses droits : « Comme j’ai pas fait le nécessaire pour ma retraite, alors j’avais pas grand chose, j’avais 2500 francs, ah! Non, 2 millions quatre par an, alors je pouvais pas faire beaucoup de choses…Après, j’ai fait connaissance d’une femme…alors j’ai raconté un petit peu ma vie… elle a fait tout mon nécessaire, tout, tout, tout, et pis, j’ai reçu après un ticket de rappel, ainsi, c’est ça, j’ai été un petit peu sauvée, hein! »

c)      Henri a éprouvé des difficultés en fin de carrière au sein de l’entreprise dans laquelle il s’était investi et gardé un bon souvenir (du début de carrière) : « Et puis la fin de ma carrière s’est plutôt mal passée, parce que, à un moment donné, ils m’ont dit : on a besoin de vous à Paris, alors, j’ai dit au P.D.G.(président directeur général) moi ça m’ennuie, je m’en vais pas de Toulouse…j’avais 57 ans, j’ai dit je préfère que vous me foutiez dehors, alors ils ont pas voulu parce que ça leur aurait coûté trop cher… et ma femme travaillait encore. Alors je suis allé à Paris écœuré… un an tout seul, en faisant les aller retour, et puis après elle a pris sa retraite, elle est venue habiter avec moi et on a trouvé un appartement, à Boulogne…quand j’ai eu, avant mes 60 ans, 6 mois avant mes 60 ans, je leur ai foutu ma démission ; Je pouvais plus les supporter ; C’était des jeunes cons qui avaient pris la suite, mon patron était parti à la retraite, le directeur général était mort, ça n’allait plus et je m’entendais pas avec ces gars là, alors j’ai démissionné à 60 ans… on partait avec 80% du salaire brut, un peu moins d’impôt, plus de loyer parisien, plus d’aller et retour, j’étais gagnant, alors je leur ai dit merde, et je suis parti.  Je leur ai dit merde et au propre et au figuré, hein! »

d)      Léa a très mal vécu son licenciement de l’entreprise, pour raison d’âge et de compression de personnel : « Je n’ai pas volontairement arrêté de travailler, parce que la société où je travaillais a été rachetée par une firme américaine, et quand ils sont arrivés, euh, personne au dessus de 55 ans, voilà, comme j’en avais 55 et demi… Alors j’ai été au chômage, à l’époque y avait 2 ans de chômage ce qui m’a menée à 57 ans et demi, et comme j’suis tombée dans les 57 ans et demi, après, bien j’ai pu continuer au chômage jusqu’à l’âge de la retraite ; Voilà, alors, pré retraite déguisée ; Mais je l’ai très mal vécu, parce que bon, imaginez vous, j’avais un poste de responsabilité, j’étais comptable 1er échelon, j’avais la signature… après avoir été informée, ils m’ont pris le bureau tout ça et tout, vous savez, je suis restée sans rien dire, hein ! Et puis alors après y avait quand même le comité d’entreprise : vous inquiétez pas, on vous laisse pas tomber, on va faire des pieds et des mains, y a pas de raison que vous partiez, mais enfin, moi ils se sont débattus pour me garder, hein, ils ont tout fait, vous savez les lois françaises, les lois américaines, hein ! L’inspecteur du travail s’en est mêlé, euh, bon, ben décidément je peux pas dire que j’ai pas été aidée, mais y a rien eu à faire ou alors il aurait fallu passer par les prud’hommes ceci, cela, alors je me suis dit : si je me vois bourlinguée comme ça, euh, bon, ben j’accepte et puis c’est tout j’ai fait un an, un an de dépression, hein! Ah, oui, parce que d’un seul coup, bon, je n’avais plus mes petites collègues, ça manque énormément, hein! Du jour au lendemain, je me suis sentie inutile »

III. 7. Le risque du suicide et l’approche de la mort

     Le risque du suicide

     Peu de collaborateurs ont abordé le thème du suicide ; aucune question n’a porté sur cet objet ; celui ci est venu naturellement dans la conversation au décours d’une phase sensible du moment de vie.

a)      Bernard, l’a évoqué ; il possède une arme et à déjà songé à l’utiliser : « Des fois je pense à prendre mon pistolet, à me suicider »

b)      Jacqueline y a pensé deux fois, une fois dans sa jeunesse après la perte de son premier amour : « J’ai failli me suicider…j’avais une petite voiture mon père m’avait acheté une Rosengart, j’ai dit je fous la voiture et la fille dans la flotte, et là, d’un seul coup, j’ai pensé à ma mère, je peux pas faire ça, j’ai foutu un coup de volant », et une fois cette éventualité a été abordée concernant une période récente : « jusqu’au jour où je peux attraper mon revolver, c’est là que c’est plus grave ;  J’y ai pensé, plus d’une fois, comme ça, quand j’ai des contrariétés, vous voyez, de, il fait nuit »

     L’approche de la mort

     Les mêmes collaborateurs qui ont évoqué le suicide ont évoqué leur fin prochaine, dans différents termes évocateurs.

 a)      Bernard en parle après avoir évoqué son ennui : «puis ma foi, j’attends d’aller au trou »

b)      Jacqueline évoque la mort en repensant à son père : « La mort ne m’effraie pas du tout ; J’y pense, le soir en me couchant, je dis, tiens tu crois que tu vas te réveiller ; Mon père est mort en dormant, figurez-vous, alors, je vais peut être faire comme mon père ; Je vais peut être faire comme mon père je vais peut être oublier de me réveiller demain matin » et parle de l’endroit où elle aimerait être enterrée : « Ça me ferait plaisir d’être enterrée à Paris, j’ai ma famille, mes parents, une cousine qui m’a élevé une bonne partie de mon enfance, mon mari, bon, ben, quand mon père a fait faire ça, c’est comme qui dirait, c’est ridicule, parce que on est plus que poussière, hein! »

c)      Simone parle de sa future crémation : « Je fais partie de choisir sa mort, je fais la crémation, le, je suis pas dans le même contexte que ces femmes qui ont eu une vie très, très droite, et elles ont eu des enfants, ce qui est une vie normale et que je n’ai pas eue, mais je ne le regrette pas »

d)      Olga aborde le thème de façon très détournée : « Mais enfin tous là, qui plus moins, ni plus ni moins, nous sommes tous mortels »

e)      Marie-Rose parle de la mort pour les autres et de la sienne ; elle communique avec ses voisins de résidence qui se plaignent souvent : «Ce qui me désole c’est qu’on arrive à notre âge et qu’on soit égocentrique ; Tout est, tout est ramené à soi, et tout est ramené, alors, on vous parle de la mort, mais attention, dés qu’on a un petit bobo, vite. Alors, les premiers temps, j’ai rien dit, parce que, hein ! Faut être prudent, et puis un beau jour je leur ai dit : Oh ! Ecoutez, hein ! Vous dites ça, mais dés que vous avez un petit bobo, hop ! Vous appelez le médecin, alors vous avez pas tellement envie de mourir ! Hein ! Bon, et puis, euh, alors, et puis alors c’est elles, en dehors d’elles, y a rien ; Alors ça, c’est, ça c’est désolant ; Alors que nous avons un pied dans la tombe là. » 

      Un constat évident sur ces deux concepts de mort et de suicide : il n’y a que les personnes qui vivent seules pour les évoquer.


[1] Forbes Anne. « Caring for Older People: Loneliness. » Op. Cit. p.352.354.

 

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