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Il ny a pas de personnes âgées heureuses ou malheureuses, isolées ou insérées, il ny a que des contemporains qui mènent leur vie qui va sachevant ; toutes ont un passé grâce auquel sest forgé avec plus ou moins de bonheur la suite de leur vie. Des paroles recueillies, se détachent certains signes qui montrent la désinsertion sociale qui cerne les personnes âgées, principalement celles qui vivent seules. Les parcours de vie différents et riches colorent ces recueils dinformation et semblent désigner certains signes de résilience, en tous cas beaucoup dentre ceux et celles qui ont bien voulu me parler ont souffert dans leur vie, et ont su rebondir et poursuivre leur parcours. Toutes les conversations se sont tenues dans un calme feutré, il ny a pas eu de hausse de ton, les rires seuls sont venus ponctuer certains entretiens.
Leurs prénoms évoquent, pour certains dentre eux, la mobilité qui sest réalisée en Europe au cours des derniers siècles, pour les autres lenracinement dans une France traditionnelle, et pour tous, ils montrent la réalisation de la mixité qui a rendu possible cette rencontre différenciée.
Très peu dentre eux sont originaires du département, ils sy sont installés lors de leur retraite, soit sur demande de lun dun membre de la famille, soit parce quils avaient des attaches familiales locales, soit parce quils venaient régulièrement en vacances dans le département.
Ils ont tous voyagé, par agrément ou pour leur travail, quelquefois dans des lieux très éloignés (Asie, Afrique, Amérique), ce qui nétait pas courant à lépoque où ils lont fait.
Les personnes rencontrées étaient toutes dans leurs meubles, même si ce nétait quune partie de ces meubles dans le cas de deux qui vivent en résidence.
Les entretiens se sont déroulées dans ce qui ma semblé être leur lieu de vie favori, le salon, la salle à manger, avec ma place naturellement désignée, sur un canapé, sur une chaise, accoudé à une table, en face à face, ou bien aux côtés de la personne visitée. Jétais dans une situation proximale idéale pour recueillir leur témoignage.
III. 1. Le poids de la solitude
Cest chez les personnes seules que ce sentiment sest exprimé avec plus ou moins dintensité.
a) Angèle qui vit seule dans son appartement et ne conserve parmi sa famille quune relation avec une nièce qui réside dans un autre département assez éloigné de Perpignan. Elle parle de la disparition dêtres chers: « Voilà au bout de 22 mois mon mari est mort, il y a 18 ans et demi » : le décompte exact du temps écoulé depuis la mort de son époux démontre le fait quAngèle doit souvent y penser, et quantifier le vide quà produit cette disparition. « Javais des frères, malheureusement ils sont tous partis et moi qui suis laînée, je suis restée ; Mon frère le plus jeune est parti il y a 9 ans, ma sur 19 ans, mon autre frère 7 ans, lautre 5 ans, et moi qui suis laînée, je suis restée toute seule. » Ici aussi le décompte exact à rebours des années de disparitions des êtres chers est donné dans le rythme de la conversation, sans pause. Angèle na pas denfants, et a vécu un drame : elle a perdu un bébé à lâge de 14 mois et vit encore son deuil. Elle parle de voisins qui lui proposent de faire les courses : « je suis à la merci des voisins sils veulent me porter du lait Jai les voisins là, à côté, bon ils sont là ; Ils mont dit si vous avez besoin de quelque chose, venez marquer, faire la liste, mais vous savez, cest dur, cest dur. » elle parle aussi dune dame qui lui faisait le ménage et les courses, mais ce nest pas seulement pour ce motif quelle lemployait : « elle est entrée ici me faire 2 heures par semaine, cest pas pour le ménage, non, cest pas pour ; Cest pour avoir un soutien » Angèle aime beaucoup son appartement et à lévocation dune résidence pour personnes âgées elle a une réponse fulgurante, elle a du y penser, ou le sujet a été abordé car elle dit : « Mais non, ça me dit rien daller dans les maisons là, non, je suis, je me sens bien chez moi, la seule chose, ce qui me manque cest lamour de quelquun à moi, de, et malheureusement jai perdu tous ceux que jaime »
b) Bernard vit seul en appartement ; il a vécu de douloureuses relations conjugales ; il fait part de troubles mnésiques qui sont en fait de petits oublis et qui nont en rien altéré cette rencontre. Il a un fils quil voit de temps en temps qui réside dans un village proche de Perpignan. Il ne voit que rarement sa fille qui vit en Isère. Il attend sa mort, Bernard a été lun des rares à évoquer sa fin de vie «autrement bon, ben, alors je mennuie, puis ma foi, jattends daller au trou ». Il se plaint de sa solitude, et pense de temps en temps mettre fin à ses jours : « Ce qui fait que moi je suis seul ici, bon, ben des fois jai le moral à zéro, quoi. Des fois je pense à prendre mon pistolet, à me suicider, mais enfin cest pas une solution après tout ce que jai fait finir comme ça cest pas normal, voyez-vous » Il souffre de surdité et porte un appareil auditif : « Je me fais du souci parce que chez moi je le mets pas (Bernard me parle de lappareil auditif) pour parler aux murs » Après cette triste ironie il relate des problèmes de santé et dit : « Voilà tous les ennuis que jai aujourdhui. Ah! Cest pas drôle dêtre tout seul, vous savez »
c) Armina qui réside seule dans un appartement est dorigine allemande et si son accent reste prononcé, il ny a pas eu de difficulté pour lentretien. Malgré un soutien religieux (elle appartient à un groupe religieux et nomme les membres de ce groupe comme ses frères et surs) elle dit : « quune femme, malade, âgée, on la met sur le côté, hein! Parce que, Oh ! Tout le monde, tout le monde ; Javais une voisine, là, elle savait que je suis très malade, elle naura jamais venu demander : vous navez rien besoin, ça va, est ce quil y a des commissions ? Jamais, jamais, jamais. » Armina insiste sur la ségrégation faite aux femmes « Mais autrement, vous savez, cest vrai, euh, les femmes on les met de côté parce quelles sont malades on soccupe plus deux, cest ça malheureux, vous savez » et avoue se sentir seule « Quelquefois je me sens seule, oh! Mais après je reprends vite le dessus »
d) Jacqueline réside dans un coquet appartement, elle vit seule entourée de sa fille qui réside à proximité et qui lui rend souvent visite. Malgré cet entourage elle ressent de lennui : « Alors, je vis, je vis. Je mange quand jen ai envie, quand jen ai pas envie, je mange pas, euh, je me lève quand jen ai envie, je me couche quand jai envie ; Tant que je me lave encore, cest bien. Je mennuie, oui, beaucoup. » Elle pense de temps en temps à se supprimer : « jen ai envie dêtre là, je vous le dis, jusquau jour où je peux attraper mon revolver, cest là que cest plus grave ; Jy ai pensé, plus dune fois, comme ça, quand jai des contrariétés, vous voyez, de, il fait nuit »
e) Simone vit seule dans un petit appartement dune résidence spécialisée pour personnes âgées ; sa sur occupe elle aussi un appartement dans la même résidence. Elle dit quelle est entrée en solitude après le décès de son époux : « et là, ma vie a basculé, je suis rentrée dans la solitude » et elle reprend plus loin en parlant au passé : « Je nai pas denfants, cétait une très, très grande solitude, grande » Elle a ressenti cette solitude en insistant sur le mot « seule », un peu plus loin quand elle évoque lenterrement de son époux : « Notez bien quà lenterrement de mon mari, les 80 étaient là, heureusement, je navais pas de famille, jétais seule, jétais seule, seule, seule »
f) Marie-Rose qui habite un petit appartement dans une résidence pour personnes âgées, a eu une vie passionnante, difficile, elle a élevé ses enfants seule ; elle na pas parlé de la solitude durant lentretien, mais, lors de la remise de la transcription écrite, et juste avant que je la quitte, elle ma pris le bras et ma dit : « vous savez, jai repensé à cet entretien, et je me suis rendue compte que je ne vous avais pas parlé de la solitude ; cest très pesant »
g) Jeannine qui réside seule dans un petit appartement dune résidence spécialisée pour personnes âgées, na pas parlé de solitude, mais son récit est empli de regrets sur la vie avant quelle emménage dans cette résidence, et elle a très peu de rapports sociaux avec ses co-locataires : « Comme aussi, je suis revenue lété dernier, 3 mois, mais ça posait problème pour avoir quelquun, pour, euh Ah ! Jétais contente quand même (rires) Jai été élevée là-bas toute jeune, jai fait mes études là-bas, jai fait toutes mes amies là-bas Je regrette ce village, enfin, regretter Jy pense quand même, javais la maison, y a encore toutes mes affaires là-bas »
Les couples nont pas ressenti de sentiment de solitude, mais certains lont évoquée.
h) Jean A époux de Dolorès la évoqué après avoir parlé de toutes leurs occupations : « voilà, vous voyez quon est occupé, hein! Je pense que cest difficile quand les personnes âgées sont seules. Cest ce quon se dit, vous voyez si un de nous deux reste seul, on y pense à ça et on se dit : il faut pas y penser, on verra bien, il faut solutionner le problème par loubli »
i) Léa épouse dIldefonse, évoque la solitude du couple face à la difficulté de rencontrer le voisinage : « Jai un suivi damitié de Paris qui ne me quitte pas, et je les sens, je les sens constamment, ici on na pas réussi à se faire des amis, quelques relations mais pas des vrais amis, et ça, ça me manque beaucoup, quoi. »
Ces personnes ont fait remonter et exprimé leur souffrance vis-à-vis de la solitude, contrairement à ce que démontre le rapport Forbes[1] ; il est vrai que le type de lentretien semi directif a peut-être favorisé lémergence de leur vécu. La souffrance quelle soit supportée par beaucoup, affrontée par quelques-uns et peut-être voulue par Armina qui est une fervente croyante, va jusquà suggérer lélimination physique du suicide à Bernard et Jacqueline ; cest la représentation ultime de notre impuissance devant linhumanité que nous projette cet acte, notre défaite devant la vie, non pas biologique, pour elle nous avons des réanimateurs, mais pour la vie sociale ; peut-être une nouvelle profession : réanimateur social ? Et si ce type de réanimation existait, en quoi pourrait consister lacharnement thérapeutique ?
La faible quantité de rapports sociaux dArmina, peut expliquer cette solitude, mais cest aussi du côté de la qualité de ces rapports quil peut y avoir explication du phénomène, Léa évoque cette difficulté de communiquer avec son voisinage et de créer un réseau social amical et regrette le réseau quelle a laissé à Paris. En général, ce sont les femmes qui ont rapporté plus douloureusement leur solitude, alors que chez les hommes seul Bernard parle de son isolement. Maurice a clairement exprimé son bien-être dans la solitude ; il vit seul dans son appartement, et il loue ses enfants quil voit une ou deux fois par semaine : « Et depuis que je suis veuf, heureusement que jai mes enfants, mais maintenant, je suis habitué ça va, mais tout de suite, hein! » Il laisse quand même transparaître une supposition : heureusement que jai mes enfants. Et sil ne les avait pas ? Il ne sort plus de son appartement depuis deux ans, sauf en de très rares occasions quand son fils vient le chercher pour une consultation spécialisée.
III. 2. Le réseau social des collaborateurs
Il était important de recenser le réseau social des personnes rencontrées ; en effet le nombre et la qualité des visites ou des rencontres que les collaborateurs peuvent avoir permet de quantifier le degré de solitude, et ceci, avec ou sans plainte sur leur isolement. Les relations décrites sont celles du réseau informel (Voir Annexe 9) et du réseau formel (Voir Annexe 10)
III. 3. Les accidents de la vie sentimentale et familiale
Sous cette appellation, jai recensé toutes les déchirures qui peuvent parsemer un parcours de vie, les déchirures du cur ou de lâme selon les personnes. Il faut dire que jai particulièrement été frappé par la dureté des épreuves de certains, et par leur capacité à continuer malgré tout leur chemin. En relisant ces passages, je pensais au phénomène de résilience et à la faculté de se reconstruire ou de se construire plus simplement quelles que soient les circonstances difficiles de certains passages de vie.
a) Angèle a subi un grand traumatisme lorsquelle a perdu son enfant en bas âge, et faute de deuil correctement accompli, ou bien le décès de son mari sest ajouté à sa peine, Angèle a parlé de cet enfant comme si son décès était récent. Elle na pas eu dautres enfants. Elle pense a son enfant comme à un petit, et sait quil aurait 65 ans aujourdhui. Elle a construit un scénario qui comble ce vide douloureusement perçu, il consiste en lachat de poupons, et elle identifie lun dentre eux comme étant son fils, elle lui souhaite ses anniversaires, lui a acheté une gourmette en or, et lappelle mon petit ; elle a des conversations avec ses poupons ; en quelque sorte elle a mis en place une stratégie adaptée à son isolement et sa peine : « Jai eu un enfant, je lai perdu à quatorze mois, donc il aurait 65 ans mon petit, cest pour ça que jai tout ça (montre son poupon et ses poupées), cest un garçon alors quand je prends ce petit et que je le mets contre moi jai limpression davoir mon petit, malgré que ça fait loin, hein!... Alors ça ma manqué dans la vie ça ; Mon mari était super, mais ça ma manqué lamour dun enfant Alors voyez ce que jai (Angèle montre le poupon et les poupées), ça me remplit la vie parce que je les prends, je les serre, je leur parle, vous voyez ; Comme on dit, cest la vie, cest la vie, mais, cest dur, hein! » Angèle a perdu son mari quelle aimait beaucoup, elle commence lentretien avec cette phrase : « Ma vie a été heureuse, jai eu un gentil mari », cette perte est fortement ressentie ; le couple était venu sinstaller à Perpignan pour passer une retraite au soleil et prés de lEspagne quils aimaient tous les deux : «jusquau dernier jour où mon mari a été en vie on a parlé espagnol hein ! Il na jamais parlé français, on a toujours parlé espagnol », et son mari est décédé peu de temps après leur installation : « Voilà et au bout de 22 mois mon mari est mort ». Le traumatisme de perte dun conjoint est important, une personne avec qui lon a vécu toute une vie, avec qui lon échange.
b) Bernard a traversé des problèmes conjugaux importants qui lont marqué : «Voilà, ce qui ma marqué beaucoup, cest, bon, mes problèmes familiaux parce que je métais marié assez jeune, et puis jai eu 2 enfants, un garçon et une fille, et au bout de, au bout de 5 ans de mariage ma femme a commencé à me tromper, alors je lai surpris un jour comme jétais armé parce que javais le holster, javais une revolver, enfin un pistolet automatique, jai failli les tuer tous les deux , après cet épisode, il a refusé de se séparer de son épouse, et évoque ses enfants en bas âge, et son expérience : « mon fils avait 5 ans, ma fille avait 3 ans, bon puis jai pas voulu les, jai pas divorcé monsieur, moi, je suis moi-même fils de divorcés ça ma marqué ça vous voyez et cest ma mère qui ma élevé avec ma grand-mère alors » ; il a attendu que ses enfants soient élevés et a pris la décision de divorcer : « jai attendu que mes enfants soient élevés, quils soient grands il y a eu un constat, constat dadultère jai gagné mon procès ça ma marqué aussi quoi » Ce constat déchec dans sa vie de couple a profondément marqué Bernard ; plus tard un de ses anciens collègues qui sétait remarié, lui suggérait de faire de même, mais il na pas voulu, il avait 52 ans à lépoque : « Jai eu des occasions que jai pas exploitées ; Vous savez, on fait des bêtises, hein ! Y a rien à faire, javais plus confiance, jai dit bon, ben cest pas la peine parce que je me suis marié jaimais beaucoup ma femme, et puis alors quand je lai surpris un jour, cétait physique, je pouvais plus la toucher jen sais rien, voyez, là aussi, mais cétait, quelque fois cétait plus fort que moi, je pouvais plus la confiance était partie, quoi. » Longtemps après, Bernard a pris sa retraite et sa mère, qui avait de faibles ressources, est venue vivre avec lui dans une villa quil avait acheté à Perpignan. Sa mère est atteinte de la maladie dAlzheimer moins dun an après et sépuisant dans sa tache daidant, sur les conseils de son médecin, il décide de la placer dans une résidence spécialisée, après avoir fait de gros sacrifices financiers : « comme là-bas cétait très cher jai été obligé de revendre ma maison de Catalunya, puis de prendre un, je suis en location et puis jai été obligé de revendre une propriété à côté de Saint-Lô à Soule, javais un hectare de terrain avec des arbres fruitiers » Malgré ces efforts consentis à légard de sa mère ? Bernard regrette de lavoir éloignée de lui «Mais jai regretté parce que jai eu des remords de lavoir mis là-bas, ça, ça me tue je sais quelle est morte en men voulant, en men voulant, ah, si, je le voyais bien » Peut-être se sent-il en dette envers cette mère qui lavait élevé seule en compagnie de sa grand-mère « cest ma mère qui ma élevé avec ma grand-mère », peut-être aussi regrette til davoir écouté la directrice de la maison de retraite, et espacé ses visites à sa mère : «Jallais la voir souvent et puis un beau jour la directrice ma dit, écoutez, monsieur, il faut pas venir si souvent votre maman elle est agitée quand vous partez, alors, jai espacé » En tous cas, Bernard éprouve du remords et avoue y penser souvent.
c) Armina a été mariée trois fois avec des hommes qui sont décédés tous les trois dune cirrhose du foie ; elle garde un amer souvenir de ces expériences conjugales : « il faut jamais croire à quelquun qui boit »
d) Jacqueline a perdu un amour de jeunesse quand elle avait 16 ans, y pense encore, et a très mal vécu ce décès : «jai travaillé chez un docteur, enfin jai travaillé, jai pas travaillé, jétais son amie, hein et du jour où cet homme est mort pour moi ça a été un tel déchirement, vous savez, moi, je lavais connu, javais 16 ans, il avait 22 ans de plus que moi La preuve vous voyez jen parle encore au bout de tant dannées et je le vois, dans mes yeux, je le vois comme si cétait hier ; Jai failli me suicider. » Elle a été ensuite mariée deux fois : « mon premier mari Il est mort à 58 ans davoir trop » Jacqueline ne termine pas la phrase, pour ne pas dire que son mari buvait. Elle reparle de ce premier mariage un peu plus loin en amenant linterlocuteur à comprendre quil ne fut pas heureux : «Jaimais pas mon mari, non, et lui, je crois quil maimait pas non plus ; Lui, je lavais sauvé des allemands, cétait une reconnaissance Mon premier mariage a été catastrophique parce que cétait comme ça ; Je suis quand même restée 19 ans, pour ma fille » Jacqueline parle dun frère quelle na pas connu et qui est décédé un mois après la naissance ; elle ne semble pas trop avoir été marquée par cet évènement. Elle dit au début du récit : « donc mon père avait une fille, parce que jai ni frère ni sur » et une demi heure plus tard : « mon petit frère était mort à 1 mois, alors, il était né en 13, je ne lai pas connu » en se souvenant que lon parlait souvent de ce frère chez elle : «Mes parents en parlaient de ce petit frère »
e) Marthe et Henri ont perdu un enfant, mort-né et Marthe avait fait une fausse couche dune grossesse de quatre mois et demi. Ils ont eu deux enfants ensuite. Mais Marthe semble penser à ces deux accidents dramatiques : « un enfant mort né avant, avant une fausse couche de 4 mois et demi ; Moi, jy pense » Henri lui répond à ce moment là : « moi non ! » et Marthe de poursuivre : « Le premier mort né, hein! Pardon, jétais à la clinique. Bon, ma mère est morte en couches, alors mon père, il y aurait eu 50 docteurs, il en aurait voulu 51 ; Il avait très peur. La première fois quand jai fait le... Je me souviens, quand jai fait lenfant mort né, bien entendu, je pleurai »
f) Simone a eu deux maris et une expérience malheureuse avec le premier qui la abandonné seule sur une île des Antilles, sans plus lui donner de nouvelles, elle a divorcé longtemps après pour se remarier ; son premier mari lui préférait la mer : « il adorait les bateaux, il a toujours, cétait sa passion, cest la mer ; Je crois quune femme peut lutter contre une autre femme, mais pas contre la mer mon premier mari que je nai jamais revu, jamais » Elle regrette de na pas avoir eu denfants : « Cest mon mari qui na pas voulu denfants, moi jai fait 3 fausses couches voulues par lui »
g) Olga a souffert de la perte de son mari : «jai perdu mon mari il est mort il y a 20 ans maintenant »
h) Léa qui est atteinte dune grave déformation de la colonne vertébrale na pas eu denfants, peut-être mal informée par un médecin qui lui avait déconseillé une grossesse : « jme suis mariée quand même figurez vous, et puis euh, on a pas eu denfant, cest à dire que je pense quon aurait pu en avoir » Ildefonse : «on a mal été conseillé ». Léa : « euh, le docteur mavait dit : bon, mais si ça doit pas trop vous priver, euh, il serait peut être mieux, mieux de pas avoir denfant » Ildefonse : « ils nous a découragés ». Léa : « parce que cest mon regret et ça on en a beaucoup pâti toute notre vie quoi vous voyez donc, moi , par contre, euh, jaurai peut être quand même essayé davoir un enfant, mais moi je crois que euh, je me serai jamais, jaurai eu 9 mois vraiment de, de, dinquiétude, jaurai eu peur, parce que jaurai eu peur, quil soit mal formé, quil vienne pas au monde normal, quil ait un bras euh, quil ait un bras mal formé, je crois que jai eu trop peur, jaurai trop peur de ça, parce que moi ayant souffert pas mal de, de.. que jaurai pas voulu quun enfant puisse subir la même chose » Ils ont aussi souffert du jugement des autres du fait quils naient pas eu denfants. Ildefonse : « vous savez, les gens, ce nest pas pour faire du mal, mais un jour on nous a dit : vous êtes égoïstes »
i) Marie-Rose a eu une expérience amoureuse et un premier mariage décevants, elle na pas trop développé lhistoire mais assez pour évoquer son malaise : « Jai connu, euh, un garçon, à lhôpital, qui était un ancien séminariste, et, euh, jétais très jeune, je nai pas, euh, je nai pas vu les, les dangers, euh, et naturellement, euh, les choses ont été assez, assez graves dans ce sens que, euh, ce séminariste, euh, navait pas les mêmes, ne vivait pas dune façon aussi normale quun ménage pouvait vivre, vous voyez, euh, il partait très souvent, euh, pendant des semaines, et puis après javais appris des, certaines choses ; Et puis nous avons, il a toujours été correct, mais enfin, euh, cétait, cétait une vie assez, euh, assez, euh, embêtante (rires). » Et sest retrouvé veuve de son second mari qui a été tué en Algérie ; elle avait alors trois enfants de 15, 12 ans et six mois, et ses deux parents qui étaient alors très âgés. Elle a souffert de la disparition de son époux quelle aimait beaucoup : « nous avions un ménage très, très uni, javais un mari qui nétait pas du même milieu que moi, mais qui était un homme très intelligent et qui mavait redonné confiance »
j) Jean D a des souvenirs de parents fatigués et malades, son père, après avoir possédé une boulangerie, a du travailler comme ouvrier, est décédé à lâge de 60 ans, Jean D avait 10 ans ; sa mère était dépressive : « Mon père, je ne me souviens pas de confidences, je, javais 10 ans quand il est mort, il était très fatigué, il était boulanger, donc à ce moment là, on brassait la pâte à la main, fallait remuer 100 kilos ; Moi, je me souviens dun père, très vieux, il est mort à 60 ans Maman était déjà fragile au point de vue santé mentale jai le souvenir dune mère malade, dépressive, très dépressive ». Réjane a un mauvais souvenir dune aventure arrivée à sa maman durant la dernière guerre, elle vivait seule avec sa mère, son père a été fait prisonnier et enfermé dans un stalag : « toujours est-il que du côté de maman, euh, jai un souvenir très dur qui, euh, on a fait lexode avec maman et là encore, euh, jouait la séduction qui ma fait détester certains types de, dhommes, euh, un bel officier avec des grandes bottes qui baratinait maman, vous voyez, je sentais ma mère en danger, ce qui ma rendu Maman, alors, euh, ne voulait pas parler du tout de ce genre de choses, euh, par contre, euh, jétais très discrète »
Dans le couple, lacte « don / contre don » est constant, et sil y a une rupture brutale dans cet échange (dautant plus quil durait souvent depuis longtemps), le lien rompu est dautant plus difficile à supporter. Certains ont pu reconstruire une vie sociale, dautres liens, ainsi Olga est fortement impliquée dans une association, ce qui lui a donné loccasion de nouer dautres liens qui la mobilisent. Dautres, comme Angèle, après avoir subi une première perte avec son enfant, souffrance suivie de regrets de ne as avoir eu dautres enfants, a perdu son époux et sest retranchée dans un silence social, elle a reconstitué une vie sociale virtuelle avec ses poupons.
III. 4. Les accidents de santé
Sous ce vocable sont rassemblés les expériences négatives qui ont pu diminuer lautonomie des personnes, toute perte dautonomie pouvant exclure du milieu social. Il y a les chutes, les accidents, les maladies, les pertes sensorielles, c'est-à-dire les accidents de vie et les aléas du vieillissement.
a) Angèle a subi plusieurs interventions ou hospitalisation suite à des fractures ; elle a diminué son périmètre de marche, elle sort très peu. « Jai été opérée 4 fois ; La première opération, une prothèse, à 64 ans quand je suis rentrée, je suis rentrée en septembre on ma opéré en novembre de la même année ; Jai eu une autre, une demi prothèse, parce que la 1e au bout de 17ans il a fallu refaire Et maintenant il y a 9 mois que je suis tombée en faisant le lit Je mets le pied dans le tapis, je mallonge à lhôpital, on me dit : vous vous êtes cassé la jambe ; Bon, on ma opéré, jai passé 17 jours à lhôpital avec des complications dans les intestins et tout, on croyait quon allait mopérer aussi de lintestin, parce que je sais pas ce qui sest passé je suis restée 13 jours sans manger, sans boire au mois de mai et le docteur avait peur, il croyait quon allait mopérer des intestins le vent ma fait tomber une fois, à 140 km/h il était, il ma fait tomber là sur la grande avenue où passe le bus, jai eu pendant trois semaines une bande là, enfin comment on dit ça sur lépaule, pas la clavicule, euh, je men rappelle pas Alors bon, alors ça me fait peur de sortir seule parce que je me sens pas la force dans les jambes à sortir seule » Elle a aussi un problème de vision, elle peut à peine lire : « Ma vue a faibli un peu, parce que jai la rétine malade et la rétine on peut rien faire »
b) Bernard est handicapé suite à deux interventions du secteur laryngé décidées après un cancer sur sa thyroïde : « Jai été opéré dun un cancer de la thyroïde le professeur G. il ma dit je suis obligé de vous réopérer » et regrette cette seconde opération, responsable daprès lui et daprès un second chirurgien des ses soucis laryngés et auditifs : « mais je nentendais plus de celle là (Bernard me montre loreille gauche) puis quand je lui en ai parlé, il a toujours louvoyé, parce que moi jai mon franc parler, je lui ai dit, écoutez professeur, vous auriez pu au moins me conseiller parce que là jentends plus, alors il ma dit cest lâge, mais il paraît que non, jai un autre chirurgien que je connais, je lui en ai parlé, il ma dit vous nauriez pas du vous laisser opérer parce que vous avez eu 2 fortes anesthésies en 3 jours et cest certainement ça qui, alors là, je porte un appareil, oui, mais là jentends plus du tout (Bernard me montre loreille gauche) celle là a 50% (Bernard me montre loreille droite) oui, mais tout ça, ça me, vous savez, jai eu tellement dépreuves que jai du mal à refaire surface. Et puis alors, évidemment, on ma fait de la radiothérapie, je voulais pas non plus, je voulais pas non plus et jai mes cordes vocales qui sont ratatinées » Bernard a eu des malaises : « un jour je me suis effondré ici, là, jai du avoir un truc cardiaque alors bon ils sont venus tout de suite » et se plaint aussi de troubles mnésiques : « Pour mes troubles de mémoire je prends des compléments alimentaires, vous voyez, je dis, je me lève, et puis à peine je me suis levé je ne me souviens plus pourquoi, vous savez, cest très frustrant ça, alors là, bon, jai pris des compléments alimentaires je bégaye, je, enfin, je bégaye pas, mais je cherche mes mots quelquefois », de problèmes intestinaux : « javais de polypes et puis javais des diverticules puis javais des hémorragies » a subi une chute de vélo (il ne fait plus de vélo depuis) : « Je suis tombé de vélo, jai rupture de la coiffe des rotateurs et puis jai rupture de lattache des deltoïdes, alors là, constamment jai mal là, dailleurs, jai donné mon vélo à mon petit-fils ; Je faisais du vélo, jallais très loin, puis un beau jour jai dérapé, je suis tombé » et se plaint darthrose : «jai de larthrose, regardez, comme quoi, je peux plus peindre, vous voyez, regardez, le chirurgien voulait me raboter tout ça, jai pas voulu, vous voyez, alors, bon, je mets du cuivre, ça guérit pas mais ça soulage un peu, quoi »
c) Armina a de graves problèmes de santé ; elle était une grosse fumeuse, plus de quatre paquets de cigarettes par jour, et garde des séquelles respiratoires importantes avec un oxygénothérapie de soutien, et une corticothérapie quelle peut difficilement prendre en raison dune probable allergie à la cortisone : « jai fumé mes 4 paquets de cigarettes par jour, quelquefois 5 Jai perdu 20 kilos, mais avec toute cette cortisone je prends, alors jai grossi par la cortisone, et jai arrêté 8 jours, ça commençait ça grattait, lallergie, alors je prends la cortisone Ça fait 14 mois, hein ! Alors, jarrête quelques jours, je recommence, cest terrible. Jai des nuits, sur le fauteuil, au canapé, et du canapé sur le fauteuil, on peut pas dormir » Armina a eu une expérience hospitalière pénible suite à une plaie importante à la jambe après une chute : «Alors jai eu cet accident (A. me montre sa jambe) 10 semaines on passe hôpital, 4 opérations plus les greffes » Elle a aussi de gros problèmes de vision : « Je ne peux pas lire, je ne peux plus rien faire parce que je vois plus grand chose, jai des lunettes mais je peux pas changer, parce que cet il ne voit rien, et lautre je vois un petit peu, mais enfin, pas beaucoup non plus »
d) Jacqueline a eu de graves ennuis de santé : « jai eu un cancer mais je suis là malgré tout Jai des belles cicatrices, oui (J. me montre sa poitrine) » et a souffert de cette amputation, dune part comme atteinte à son intégrité, dautre part à cause dune réflexion de son époux : « comme javais pas une grosse poitrine, de toutes façons cest pas dramatique, cétait pas dramatique, et, à la suite de tout ça, évidemment, quand je me suis réveillée, tout ça, je me suis tâtée, bon, ben, javais plus de sein, hein! Et quelques jours après je lui dis : on mettra une prothèse ; Ah! Il (le chirurgien) ma dit : non, pas question mon mari était très axé sur la poitrine et ce qui ma foutu, alors, euh, un coup de marteau, cest quun soir, je mapproche, il me regarde et il me dit : attends, il faut que je mhabitue. Oh ! (silence) Alors, ça, ça, ça ma fait mal » Elle a eu aussi une hystérectomie et une annexectomie qui nont pas gêné sa féminité : « Et ça ne ma gêné en rien, mais quand les femmes simaginent quelles ne vont plus avoir de, comment dire, de relations agréables, cest là (J. me montre sa tête) que ça se passe, cest pas ailleurs » Elle a perdu la vision dun il : « Jai perdu un il, jai fait une macula, alors jai vendu la voiture »
e) Simone a eu des ennuis cardiaques, et la malchance de se retrouver hospitalisée dans le lit où son mari est décédé : « jai fait une crise cardiaque, une sérieuse, et je me suis retrouvée dans le lit où mon mari, à lépoque, y en avait que 3, lhôpital, là, maintenant, on est en haut, parce que jy vais, bon vous voy mais, jétais en bas, en bas, au rez-de-chaussée où y avait encore des petits pépères qui étaient devant, et là je me suis retrouvée dans le lit où mon mari était mort ; Ca ne ma pas arrangée » Elle a par la suite fait un autre malaise cardiaque et subi un curetage de carotide. Elle ne veut plus voir de chirurgiens : «avec mon docteur, je lui ai dit que je voulais pas voir de chirurgien, parce que ils mont infecté, on ma enlevé la vésicule et ils mont infecté la vessie. »
f) Maurice qui se plaint peu en général, est tombé lors dune hospitalisation en clinique pour ablation dune tumeur, et sest fait mal à la hanche, qui le fait toujours souffrir 15 ans après : «Jétais à la clinique et puis, je suis tombé à la clinique (rires) jai voulu me lever trop tôt du fauteuil et puis, je suis tombé par terre, je suis tombé sur la hanche là Avant ça allait quand même à peu prés, mais plus ça va, et plus ça me gène maintenant ; Ca va faire bientôt, ça va faire presque 15 ans hein! Que cest arrivé, alors »
g) Olga souffre darthrose et se plaint de ne plus pouvoir faire de grands déplacements à cause de cette pathologie : « maintenant jai moins de facilité du fait que je souffre beaucoup des reins, jai mal, très mal dans le dos, jai de larthrose, et je, je dois faire davantage attention à cause de, à cause de ça. »
h) Maria a été opérée de la hanche, et se déplace très difficilement, Albert : « elle peut pas marcher sans ça (Maria se déplace avec un déambulateur), hein ! Elle a des broches dans la cuisse là. »
i) Léa souffre dune malformation de sa colonne vertébrale qui nest pas congénitale, mais qui na pas été prise en charge durant son enfance ; elle a du être longtemps hospitalisée lors de son adolescence, en a souffert toute sa vie, et maintenant présente des problèmes respiratoires et a besoin de lassistance dune bouteille doxygène : jai une très grosse déformation de la colonne vertébrale qui ma pris étant enfant, cétait la période de la guerre 39 45, bon, ben, mon père étant prisonnier, tout ça, dans une ferme, euh, ma mère na jamais, disons voulu, si je peux me permettre le terme, euh, me faire soigner ; Pour elle, euh, cétait pas une maladie Mais jai attendu un an après la guerre) pour aller à Berck plage je suis restée 3 ans en hôpital héliomarin à La Rochelle, javais 18 ans, de 17 à 20 ans, quoi, 17 ans et demi, 20 ans et demi Jai passé 3 Noëls là bas, tout le monde partait dans les familles, moi, mes parents nétant pas riches, nayant pas dsous, javais personne pour me pour menvoyer un peu dsous pour partir ; Alors ça, ça marque quand même, alors 3 Noëls là bas cest maintenant que jen subis les conséquences maintenant, parce que plus on, bon, quand on vieillit, on se tasse, plus je me tasse, plus ma cage thoracique se resserre, plus mes poumons sont enclavés et moins je respire, et voilà, doù maintenant : oxygène, machine à respirer la nuit et tout le bazar »
j) Jeannine a des problèmes de colonne vertébrale qui lhandicapent pour se déplacer, elle ne supporte pas la station debout longtemps : «Jai senti que je vieillissais quand jai commencé à avoir des problèmes, après mon opération du dos » et des problèmes cardiaques : « jai eu des problèmes au cur, jai eu les coronaires dilatées 2 fois », et ces problèmes lui donnent des pensées négatives : « Je me dis : maintenant, je suis vieille, tant pis (rires). Ca signifie, que je ne peux plus avancer, cest le cas, cest mon gros problème, ça, je vaux pas grand-chose »
III. 5. De la stigmatisation
Certains des collaborateurs ont évoqué la stigmatisation de leur âge, en des termes peu agressifs, mais avec une nostalgie du temps passé où le respect aux anciens était plus courant daprès leurs dires.
a) Armina se plaint du sort réservé aux femmes : « Ah! Tu sais, la vie ! Mais autrement, vous savez, cest vrai, euh, les femmes on les met de côté parce quelles sont malades on soccupe plus deux, cest ça malheureux, vous savez ; Je ressens beaucoup ça »
b) Albert, parle des relations amicales et familiales quils avaient : « Jai une nièce qui habite dans lescalier et une autre qui habite euh, pas loin de chez vous; Voilà ; Puis on avait des amis, aussi », Maria intervient pour signaler que ces rencontres se font plus rares et quelle sadressait aux personnes âgées quand elle était plus jeune : « mais des jeunes plus jeunes que nous, et vous savez que nous, on est malades et vieux, ça les intéresse pas prendre la parole avec nous, parce que cest pas intéressant parler de maladie de vieillesse, cest compréhensible, eux sont plus jeunes. Quand jétais jeune, je parlais aux vieux »
c) Léa, à cause de sa déformation a eu à subir des remarques dans sa jeunesse qui la marquent encore aujourdhui : «Ma maladie ma ennuyé toute ma vie, surtout au niveau moral quand jétais jeune, parce que vous savez, bon, jai jamais pu mhabiller comme tout le monde, euh, bon déjà, toute jeune ; Vous savez, jai commencé à en souffrir à La Rochelle, quand jétais en rééducation, euh, un jour jai eu une bombe qui mest tombée dessus, vous savez quelquun cherchait quelquun, et on dit : mais non, cest la chambre 4 vous avez un étage, ah je vois pas ! mais si, mais si, cest la chambre où y a la petite bossue, alors là, ce jour là, jai cru quune, quun gros caillou métait tombé sur la tête, et cest ce jour là que jai commencé à me regarder dans une glace, un glace à 3 faces pour voir comment jétais »
III. 6. Les difficultés à larrêt du travail
Le passage à la retraite peut être une cause de souffrance pour les personnes qui se retrouvent au terme dune vie de travail avec un bouleversement de leurs habitudes, de leur réseau social, et qui plus est, ce moment a pu mal se passer avec un arrêt du travail avant lâge prévu.
a) Bernard a cessé son travail de sa propre initiative pour des raisons politiques ; il travaillait au ministère de lintérieur : « Jai fait ma carrière, jai fini en 80 au ministère de lintérieur, jai fini en 85, je suis parti parce que cétait devenu trop politisé, en 85, donc je suis né en 21, javais 63 ans jaurais pu faire encore 3 ans, peut-être même 5 puisque jétais chef de service »
b) Armina na pas eu daide pour faire valoir ses droits à la retraite, elle a vécu avec un revenu misérable, jusquà ce quelle rencontre une dame qui sest occupée dorganiser ses papiers pour quelle puisse faire valoir ses droits : « Comme jai pas fait le nécessaire pour ma retraite, alors javais pas grand chose, javais 2500 francs, ah! Non, 2 millions quatre par an, alors je pouvais pas faire beaucoup de choses Après, jai fait connaissance dune femme alors jai raconté un petit peu ma vie elle a fait tout mon nécessaire, tout, tout, tout, et pis, jai reçu après un ticket de rappel, ainsi, cest ça, jai été un petit peu sauvée, hein! »
c) Henri a éprouvé des difficultés en fin de carrière au sein de lentreprise dans laquelle il sétait investi et gardé un bon souvenir (du début de carrière) : « Et puis la fin de ma carrière sest plutôt mal passée, parce que, à un moment donné, ils mont dit : on a besoin de vous à Paris, alors, jai dit au P.D.G.(président directeur général) moi ça mennuie, je men vais pas de Toulouse javais 57 ans, jai dit je préfère que vous me foutiez dehors, alors ils ont pas voulu parce que ça leur aurait coûté trop cher et ma femme travaillait encore. Alors je suis allé à Paris écuré un an tout seul, en faisant les aller retour, et puis après elle a pris sa retraite, elle est venue habiter avec moi et on a trouvé un appartement, à Boulogne quand jai eu, avant mes 60 ans, 6 mois avant mes 60 ans, je leur ai foutu ma démission ; Je pouvais plus les supporter ; Cétait des jeunes cons qui avaient pris la suite, mon patron était parti à la retraite, le directeur général était mort, ça nallait plus et je mentendais pas avec ces gars là, alors jai démissionné à 60 ans on partait avec 80% du salaire brut, un peu moins dimpôt, plus de loyer parisien, plus daller et retour, jétais gagnant, alors je leur ai dit merde, et je suis parti. Je leur ai dit merde et au propre et au figuré, hein! »
d) Léa a très mal vécu son licenciement de lentreprise, pour raison dâge et de compression de personnel : « Je nai pas volontairement arrêté de travailler, parce que la société où je travaillais a été rachetée par une firme américaine, et quand ils sont arrivés, euh, personne au dessus de 55 ans, voilà, comme jen avais 55 et demi Alors jai été au chômage, à lépoque y avait 2 ans de chômage ce qui ma menée à 57 ans et demi, et comme jsuis tombée dans les 57 ans et demi, après, bien jai pu continuer au chômage jusquà lâge de la retraite ; Voilà, alors, pré retraite déguisée ; Mais je lai très mal vécu, parce que bon, imaginez vous, javais un poste de responsabilité, jétais comptable 1er échelon, javais la signature après avoir été informée, ils mont pris le bureau tout ça et tout, vous savez, je suis restée sans rien dire, hein ! Et puis alors après y avait quand même le comité dentreprise : vous inquiétez pas, on vous laisse pas tomber, on va faire des pieds et des mains, y a pas de raison que vous partiez, mais enfin, moi ils se sont débattus pour me garder, hein, ils ont tout fait, vous savez les lois françaises, les lois américaines, hein ! Linspecteur du travail sen est mêlé, euh, bon, ben décidément je peux pas dire que jai pas été aidée, mais y a rien eu à faire ou alors il aurait fallu passer par les prudhommes ceci, cela, alors je me suis dit : si je me vois bourlinguée comme ça, euh, bon, ben jaccepte et puis cest tout jai fait un an, un an de dépression, hein! Ah, oui, parce que dun seul coup, bon, je navais plus mes petites collègues, ça manque énormément, hein! Du jour au lendemain, je me suis sentie inutile »
III. 7. Le risque du suicide et lapproche de la mort
Le risque du suicide
Peu de collaborateurs ont abordé le thème du suicide ; aucune question na porté sur cet objet ; celui ci est venu naturellement dans la conversation au décours dune phase sensible du moment de vie.
a) Bernard, la évoqué ; il possède une arme et à déjà songé à lutiliser : « Des fois je pense à prendre mon pistolet, à me suicider »
b) Jacqueline y a pensé deux fois, une fois dans sa jeunesse après la perte de son premier amour : « Jai failli me suicider javais une petite voiture mon père mavait acheté une Rosengart, jai dit je fous la voiture et la fille dans la flotte, et là, dun seul coup, jai pensé à ma mère, je peux pas faire ça, jai foutu un coup de volant », et une fois cette éventualité a été abordée concernant une période récente : « jusquau jour où je peux attraper mon revolver, cest là que cest plus grave ; Jy ai pensé, plus dune fois, comme ça, quand jai des contrariétés, vous voyez, de, il fait nuit »
Les mêmes collaborateurs qui ont évoqué le suicide ont évoqué leur fin prochaine, dans différents termes évocateurs.
a) Bernard en parle après avoir évoqué son ennui : «puis ma foi, jattends daller au trou »
b) Jacqueline évoque la mort en repensant à son père : « La mort ne meffraie pas du tout ; Jy pense, le soir en me couchant, je dis, tiens tu crois que tu vas te réveiller ; Mon père est mort en dormant, figurez-vous, alors, je vais peut être faire comme mon père ; Je vais peut être faire comme mon père je vais peut être oublier de me réveiller demain matin » et parle de lendroit où elle aimerait être enterrée : « Ça me ferait plaisir dêtre enterrée à Paris, jai ma famille, mes parents, une cousine qui ma élevé une bonne partie de mon enfance, mon mari, bon, ben, quand mon père a fait faire ça, cest comme qui dirait, cest ridicule, parce que on est plus que poussière, hein! »
c) Simone parle de sa future crémation : « Je fais partie de choisir sa mort, je fais la crémation, le, je suis pas dans le même contexte que ces femmes qui ont eu une vie très, très droite, et elles ont eu des enfants, ce qui est une vie normale et que je nai pas eue, mais je ne le regrette pas »
d) Olga aborde le thème de façon très détournée : « Mais enfin tous là, qui plus moins, ni plus ni moins, nous sommes tous mortels »
e) Marie-Rose parle de la mort pour les autres et de la sienne ; elle communique avec ses voisins de résidence qui se plaignent souvent : «Ce qui me désole cest quon arrive à notre âge et quon soit égocentrique ; Tout est, tout est ramené à soi, et tout est ramené, alors, on vous parle de la mort, mais attention, dés quon a un petit bobo, vite. Alors, les premiers temps, jai rien dit, parce que, hein ! Faut être prudent, et puis un beau jour je leur ai dit : Oh ! Ecoutez, hein ! Vous dites ça, mais dés que vous avez un petit bobo, hop ! Vous appelez le médecin, alors vous avez pas tellement envie de mourir ! Hein ! Bon, et puis, euh, alors, et puis alors cest elles, en dehors delles, y a rien ; Alors ça, cest, ça cest désolant ; Alors que nous avons un pied dans la tombe là. »
Un constat évident sur ces deux concepts de mort et de suicide : il ny a que les personnes qui vivent seules pour les évoquer.
[1] Forbes Anne. « Caring for Older People: Loneliness. » Op. Cit. p.352.354.
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