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La résilience fait partie de la théorie du développement psychologique et humain, cest un mot utilisé pour décrire la capacité de lindividu à faire face à une difficulté ou à un stress importants ; cette capacité permet, plus tard, de mieux réagir à une difficulté. La résilience peut être importante en période de transition où les stress ont tendance à saccumuler et elle comprend aussi des faits inattendus comme le déménagement, une perte dêtre cher, la pauvreté, la maladie. Elle englobe deux concepts : le risque et les facteurs de protection.
Dans une entretien en lan 2000, B.Cyrulnik parlait de néoténie (terme qui étymologiquement signifie : maintien de la jeunesse) et petite enfance, et, à la question de savoir si cette adaptabilité était conservée tout au long de la vie à répondu : « Cest une adaptabilité, cest une prolongation des processus dapprentissage qui sont très vifs dans les petites années et qui se continuent tant que dure notre vie. ». Dans ce même entretien, un peu plus loin, à la question de savoir si les personnes âgées étaient capables de résilience, il dit :
« ce qui détermine la qualité de la vieillesse, ce sont les petites années. Cest-à-dire que ceux qui ont eu des petites années stables, sécurisées et exploratrices seront probablement ceux qui auront le plus de chance de faire une vieillesse stable, heureuse et encore intéressée par le monde, encore exploratrice. Les petites années, cest tant que lapprentissage est rapide, tant que lapprentissage est facile, moi, je dirais jusquà 10 ou 12 ans : l'âge de la stabilité du cerveau, la stabilité neuronale, les traces, les empreintes neuronales. Mais quand on demande aux gens âgés de faire le récit de leur propre vie, presque tous racontent leur vie de 10 ans à 30 ans. Pourquoi cette période ? 10 ans, cest : quand je serai grand, je serai maman, je serai papa etc. Ensuite, 30 ans, c'est : jai eu des enfants, jai un métier. Cest-à-dire que le thème de la vie, cest laffectivité et la socialité. Avant 10 ans, on ny pense pas trop et après trente ans, on est sûr nos rails... Cest ce qui fait que les mouvements les plus imprégnés dans notre mémoire cérébrale cest 10-30 ans, cest-à-dire les deux grands thèmes de la vie des hommes : lamour et laventure sociale. »[1]
Ce que lon apprend dans les petites années cest le premier chapitre de notre vie que nous écrivons, et il en reste dautres à écrire, et dans ces autres chapitres on peut négocier ; mais rien nest joué, la situation nest pas figée pour lavenir.[2]
Anna Freud (la fille de Sigmund Freud) a dit : « la vie cest comme une partie déchecs, les premiers coups donnent la direction de la partie, mais tant que la partie nest pas terminée, il reste de jolis coups à jouer ».
A chaque chapitre de notre existence il y a des déterminants qui interviennent ce qui fait que tout est jouable, mais ça se joue plus vite dans les « petites années » [3]
IV. 1. Les petites années des collaborateurs
Parmi les informations recueillies, jai tenté de rassembler ce qui est du domaine des années réussies pour abonder dans le postulat soulevé par B.Cyrulnik (Voir Annexe 11)
Jai introduit les données pour en extraire ce qui peut être en rapport avec des « petites années » réussies; en ce qui concerne la souffrance morale ou physique, je nai fait apparaître que ceux qui lavaient fortement exprimée. Les personnes qui rentrent dans la catégorie petites années positives et vieillissement réussi sont au nombre de 8, soit 38% des collaborateurs, les « petites années » positives ont toutes donné un vieillissement réussi ; par contre si je prends en compte ceux qui ont les petites années positives, le vieillissement réussi et une souffrance dans le grand âge, cela fait 11 personnes, soit 52%.
IV. 2. Les parcours de vie atypiques et les objets de remplacement
Parmi ces collaborateurs, certains ont eu des parcours de vie atypiques quil convient de relater ; des chemins de vie qui sont parfois liés aux déplacements géographiques, à lexpérience de la guerre et de ses suites, et à lexpérience professionnelle ; apparaissent des facteurs de résilience, et / ou dapprentissage de la vie qui ont construit leur grand âge aujourdhui. Ce qui donne la force de résilience, cest le sentiment dappartenance et la coordination autour dun but ; convaincu dy arriver la personne a le sens dêtre là, il y a un but. Certains ont reporté laffection sur un objet, animal ou chose, avec lequel ils construisent une relation sociale.
a) Angèle vit avec la déchirure quà provoqué le décès de son enfant en bas âge ; elle la remplacé par un poupon : « cest pour ça que jai tout ça (montre un poupon et des poupées), cest un garçon, il y a la photo du baptême, alors quand je prends ce petit et que je le mets contre moi jai limpression davoir mon petit, malgré que ça fait loin, hein ! ça me remplit la vie parce que je les prends, je les serre, je leur parle, vous voyez » Ce remplacement laisse quand même Angèle en contact avec la réalité, elle dit : « il aurait 65 ans mon petit », elle ne berce pas un enfant de 65 ans, elle comble son manque daffection, de relations, par des poupées et un poupon identifié à lenfant perdu.
b) Bernard a suivi la seconde guerre mondiale en participant au combat ; il se rend compte que linsouciance de sa jeunesse lui a masqué le danger de la guerre : « Quand on est jeune on est inconscient, on va au combat, bon on ne pense même pas à soi, voyez-vous, heureusement parce quà ce moment là on naurait pas continué, quoi » il y a la notion de mort qui est soustraite au jugement durant cette période, et Bernard a une façon froide de parler de sa mort, quand il parle de son moral, il le fait sans marquer la conversation dun arrêt, sans dramatisation : «Des fois je pense à prendre mon pistolet, à me suicider », et il modère la phrase tout de suite : « mais enfin cest pas une solution après tout ce que jai fait finir comme ça cest pas normal » en disant quil sest construit autrement pour arriver à un tel geste, « après tout ce que jai fait » cest la force qui lui permet darrêter son geste. La marque de la souffrance quil a subi et surmontée dans un temps ancien, lui donne la force de surmonter le désespoir qui le submerge aujourdhui. Bien que le sentiment dappartenance à la 2e D.B. (division blindée), régiment délite durant la seconde guerre mondiale sestompe (il rencontre moins souvent les anciens de cette division), il garde quand même le souvenir de la difficile aventure accomplie malgré les peurs et le danger.
Il a eu un chien comme animal de compagnie : « Javais un chien, javais un milou, javais un « milou », et puis, bon, ben, mon « milou » il est mort il avait 17 ans, il ma fait une pancréatite aiguë ; Il comprenait tout ce que je lui disais et il me faisait comprendre tout ce quil voulait », Bernard nous dit toute la communication quil pouvait exister entre cet animal et lui, cétait un objet dattention, et déchange. Il a repris un chien semblable au premier, qui est décédé lui aussi, et le regret de Bernard aujourdhui cest de ne pas pouvoir élever un autre chien : «Jai 82 ans, je ne veux pas le remplacer, quest ce que je vais prendre, je vais élever un chien ! »
c) Armina qui souffre dun traumatisme de jeunesse lévoque, mais ne veut pas en parler : « nous sommes une grande famille de 15 enfants, oui, des frères et des surs, on a pas eu de jeunesse, oh! Comment je peux dire ça, cétait la misère, quest ce que vous voulez, il y a toujours des différences entre frère et sur avec la mère ou avec le père, mais bon, je veux plus en parler de tout ça cest du passé » Ensuite autre traumatisme : trois mariages et ses trois maris sont décédés dune cirrhose du foie, enfin douloureuse retraite, car nayant pas fait les démarches nécessaires, elle ne touchait quune somme ridicule pour vivre. Elle fumait beaucoup, jusquà 4 ou 5 paquets de cigarettes par jour, elle en a gardé dimportantes séquelles. Mais Armina a trouvé des ressources dans la croyance : « jai crié vers le seigneur, il faut que tu tarrêtes comme ça, là, jai jamais plus fumé, il y a 15 ans, le 13 août, oui ça va faire 15 ans que jai arrêté fumer, et jai jamais plus fumé, et grâce au seigneur, jai crié vers lui, il ma délivré » Parlant de sa maladie respiratoire qui lhandicape, elle dit : « Malgré que jai tout ça je suis pas malade, jai toujours la foi, il va me guérir, je sais il va me guérir, je fais confiance au Seigneur, je vas être libre, il me la promis et le Seigneur cest pas un menteur » Elle parle de ses problèmes importants de vue, et le seul livre quelle lit cest la bible : « Et alors, bon, enfin, je lis la bible, ça cest livre religieux, il faut éclairer dessus ou alors en plein jour plutôt, comme ça cest mieux ; Mais cest difficile, jai une loupe, mais pour lire dans cette bible, ça va pas cest tout petit, hein! Il faut une grande loupe ; mais connaître le seigneur, cest merveilleux »
Armina rebondit sur son désespoir et trouve un moyen déchanger grâce à la religion, malgré sa mauvaise santé, son tout petit réseau social. Ses souffrances ne sont pas oubliées, mais elle les « anesthésie » à laide de lobjet religieux.
d) Jacqueline puise sa force de vie dans ses souvenirs : « je vis de mes souvenirs qui sont bons, de mon passé qui a été très bon » Des souvenirs qui sont ceux de la solidarité : « moi jen ai fait du bien même pendant la guerre jai sauvé autant de juifs que jai pu à Paris je les ai tous retrouvés après la guerre, ils étaient tous revenus sinstaller à Perpignan », solidarité ancienne dont elle a fait preuve quelle ne retrouve pas aujourdhui auprès de son beau-fils : « Il y a eu le jour de lan J. (elle) était toute seule dans le fauteuil, aussi bien la veille que le jour même Silence Quand mon mari est mort, jaurai pu repartir sur Paris et tout ; Ma fille étant mariée avec ce tordu, je suis venue vers elle, jai quelle ; Je pense étant seule, que mon gendre allait comprendre, il a rien compris. Moi je suis juste bonne à faire des chèques silence » Jacqueline arrive à gommer ces relations tendues avec son beau-fils en se remémorant ses souvenirs de solidarité forte vécus en dépit des avertissements de sa mère sur la dangerosité de ces actions.
e) Marthe et Henri, ont vécu une expérience de solidarité intergénérationnelle avec leur fils aîné qui a voulu sinstaller comme agriculteur : « si on doit faire ton bonheur, on lui a dit : vas y il me dit : viens nous aider à cueillir ce tournesol parce que les tourterelles me le bouffent, voilà comment on est allé cueillir le tournesol Alors, moi je lui faisais la comptabilité » Cette expérience a été menée malgré une incompréhension au départ : « Moi, je navais pas compris ce gosse », ils ont su surmonter leurs réticences et sengager dans le soutien de leur enfant.
f) Jean A et Dolorès ont vécu en Afrique ; Jean sy est rendu dans un premier temps, il était responsable dun comptoir commercial qui proposait de tout : « dans une factory, on vendait de tout si vous voulez, des habits, des chaussures, du vin cest ce quon voit dans les westerns, si vous voulez, y avait de tout, y avait des pelles, des fusils Je mettais lessence dans les avions » Il a vécu des moments forts à loccasion daccidents davion, où il a du mettre en uvre des opérations de rapatriements de victimes «Et alors le préfet me dit : quest ce quon fait de ces cercueils maintenant, vous avez pas voulu quon les enterre Et attachez moi les bien ces cercueils, je veux pas les voir se promener dans lavion, attachez les bien, hein ! Parce que si on les avait pas bien attachés ça risque de crever, de crever la carlingue, parce que cétait, les avions nétaient pas capitonnés comme maintenant, cétait des avions militaires. Alors on lui a attaché tout ça et il est parti » Dans un second temps, il est revenu à Perpignan et a épousé Dolorès, ils sont repartis et ont connu lépreuve de la longueur des voyages de cette époque : « on a mis 24 heures pour faire, et encore cétait un D.C.4, hein! 24 heures pour faire Le Bourget Port Gentil » Ils ont pu rencontrer une légende vivante : Autrement quand on était au Gabon, on a connu le Dr Schweitzer, je sais pas si vous en avez entendu parler, oui on la connu là, même cest pas lui qui nous a soignés mais cest à lhôpital, on sest fait soigner là bas »
g) Vélia et Francis ont beaucoup voyagé, Francis était militaire. Ils ont rencontré et vécu parmi les autres, et ont gardé de ces expériences une grande convivialité. Francis a connu lexpérience du maquis pendant la seconde guerre mondiale et raconte cet épisode de manière très vivante et souriante : « dans ce maquis là, de Quérigut cétaient tous des combattants espagnols, enfin, cétaient des communistes espagnols qui se sauvaient, hein! et cest là, comme dit ma femme, le fameux carrefour de Pézilla, (rires) alors, quand on est descendus avec le maquis, avec des camions, euh, qui avaient été réquisitionnés, et on ma laissé à moi avec un mauser, sur lépaule, je savais même pas men servir y a un espagnol il me dit : si les Allemands ils passent, tu tires dedans (rires) heureusement quils sont pas passés » Il y a le temps de la jeunesse de Francis, quand le progrès navait encore facilité les communications et que le village avait besoin dun médecin, et que les solidarités se manifestaient : « Alors, lui, quand y avait un accouchement à F., lui il, euh, bon, nous les jeunes on prenait les skis, on allait le chercher à La Quillane, hein! Et les jeunes de Mont Louis venaient laccompagner à ski, jusquà La Quillane, y avait le relais à la maison forestière, à la maison cantonnière de La Quillane »
h) Simone a beaucoup voyagé, elle a vécu en Egypte, au Maroc, sur lîle de Saint Thomas dans les Antilles américaines, avec son premier mari, et en Guadeloupe où elle rencontrera son second mari. A son arrivée en Guadeloupe, sans revenus et sans travail, elle a subsisté jusquà ce quelle ouvre un club bar : « Jai monté un club avec une amie Moi, je moccupais pas des boissons, je moccupais mais on sétait scindé en deux, je faisais le matin jusquà midi, et elle arrivait, enfin jusquà 2 heures, et elle prenait et faisait la nuit, parce que moi, ça mintéressait pas du tout »
i) Maurice a fait lexpérience du stalag après avoir été fait prisonnier. Je note que Maurice na pas beaucoup parlé, cest lentretien le plus bref ; quil a répété comme un leitmotiv quil navait pas de problèmes : de vie, de santé, disolement ; cest une situation qui ma interpellé ; était-ce un vieillissement réussi ? Je ne le croyais pas, Maurice ne sort plus de chez lui depuis deux ans, sauf en de très rares occasions (consultation chez un médecin et il faut quil soit accompagné), il ne voit que très peu souvent un couple de voisins, et il emploie une aide ménagère quelques heures par semaine. Je suis tenté de mettre cette expérience du stalag au bénéfice des expériences positives ; il a pu expérimenter la résilience durant cette époque, et bénéficier de cette expérience aujourdhui ; sur le peu de discours quil a tenu : cest souvent un moyen de défense pour les personnes qui ont vécu des souffrances dans ce type de détention, où elles ont connu des atteintes à la dignité humaine : elles nen parlent pas beaucoup, et dans leur vie quotidienne qui suit cette période, elles ne parlent pas non plus, elles ont appris à ne dire que le juste nécessaire, que les paroles qui nengagent pas de suite à leurs discours.
j) Olga a une expérience très positive de sa vie professionnelle, en tant que femme et en tant que chef dentreprise : « jétais styliste et jai eu une maison de couture pendant 25 ans à Lyon cest un pays, un métier qui ma donné beaucoup de joie, beaucoup de satisfaction et, et je continue même malgré mon âge à continuer à tirer un peu laiguille de temps en temps et ça me fait toujours le même plaisir (rires) métier librement consenti pour mes propres moyens » Elle a aussi, hormis sa famille et les repas ensemble auxquels elle tient beaucoup, une vie associative qui la passionne : «je fais partie depuis 1985 de, dun organisme, une société, cest pas une société, non, cest une association qui sappelle le Femina Club, littéraire, tous les jeudi cest une association qui groupe 65 personnes, toutes plus ou moins du 3e âge, parce que, évidemment les gens travaillent, bien entendu, euh, mais qui sont bien en mouvement, qui ont lesprit, assez développé, et qui sont très intéressantes et parmi tout ce noyau, jai réussi à avoir un petit monde damis de 7 ou 8 personnes chez qui je vais »
k) Maria et Albert ont une expérience de vie difficile en tant que jeunes mariés, expérience dont ils parlent avec bonheur. Albert a vécu la période de la guerre comme prisonnier et a travaillé avec un esprit frondeur et un courage de ses opinions quil aime raconter : « cétait une , une entreprise de Goering, ça sappelait Goering Werk , et là, on me mettait là, travaillé pendant deux mois, ça ne me plait pas, je ne faisais plus rien, alors les chefs, ils étaient pas contents alors on me foutait à la porte, on mdonnait dautres places (rires) on mfoutait dehors jai fait 13 places, 13 places Alors y avait des, des épingles, cta dire des clous très fins, je mettais de clous dans le sable et après quand y venaient chercher le sable, ça bouchait les machines, ils étaient obligés de démonter tout pour enlever les clous » Maria et Albert se sont mariés à la libération, en Autriche (Maria est dorigine autrichienne) ont eu leur fils et beaucoup de difficultés à revenir en France (cest Maria qui parle): « monsieur le curé, il me dit à moi, cest parce que vous avez perdu la guerre, vous marriez à un français Albert : oui, il voulait la dissuader un peu, hein! » et au retour en France : « voilà, je suis, marié, euh, je suis revenu chercher ma femme, alors, je voudrais, euh, un comment, un laisser passer pour quils puissent rentrer en France avec moi « je msuis retrouvé à Salzbourg, à, à Strasbourg, euh, au camp de W, cest là que tous les Français passaient, bon, y en avait plus beaucoup qui passaient, cétait mélangé, pour un français qui entrait y avait 5 hollandais, euh, 10 belges et ainsi dsuite, hein ! Tout ça, cétait mélangé, mais y fallait attendre, hein ! Mon épouse nétait pas à lintérieur du camp, elle était à lextérieur, dans une villa à cause du bébé, hein! Donc elle habitait là. Jai attendu »
l) Léa et Ildefonse ont eu à gérer durant leur vie de couple linfirmité dont est porteuse Léa qui dit : « Ma maladie ma ennuyé toute ma vie, surtout au niveau moral ». Cela ne la pas empêché de travailler et de passer de bons moments qui font des souvenirs agréables : « On a connu quand même une belle vie de spectacles ». Cette dureté qui les a privé dun enfant avec tous les regrets que cela génère, a forcé leur courage. Léa continue sa vie malgré une capacité respiratoire des plus réduites ; ils ont continué leur projet de vie : ils viennent de partir dans la région lyonnaise où ils ont acheté un appartement.
m) Jeannine a un expérience de la solitude dans sa jeunesse : « la guerre a changé les choses, et puis javais perdu mon père en 38, ça avait déjà changé ma situation, javais un frère qui avait 10 ans de moins que moi, qui est décédé maintenant, et puis ben, voilà, moi jai fait, enfin, jai vraiment été seule », souvenir qui lui rappèle sa solitude actuelle, mais qui lui a permis de se construire et de résister.
n) Marie-Rose a connu beaucoup de moments forts, de pertes. Elle a eu loccasion de se battre pour construire son avenir, en tant que jeune fille, en résistant aux conseils de sa mère : « Dabord, quand jai voulu faire mes études dinfirmière, ma mère ma dit : euh, non, euh, tu vas te marier, enfin Alors, jai préféré quand même faire mes études, dinfirmière, et travailler », ensuite en servant son pays comme assistante sociale des armées pendant la seconde guerre mondiale : « jai fait toute ma campagne, euh, dItalie, et, euh, quand ça a été terminé en Italie, nous sommes revenus jai débarqué avec (rires) je suis descendu du bateau avec une échelle en corde » Elle retourne à Marrakech avec son second mari et travaille comme infirmière : « euh, je me suis occupé à ce moment là des enfants, euh, juifs ». Retour en France après lindépendance du Maroc ; puis en Algérie où son mari sera tué, et retour en France où elle se retrouve veuve avec ses trois enfants à élever. Ces circonstances de vie ont donné à Marie-Rose son caractère enjoué, volontaire, et son savoir pour stimuler ses contemporains ; elle anime les après-midi de la résidence où elle est hébergée. La retranscription de son entretien mavait surpris car elle a une voix jeune qui respire la fraîcheur, et le déroulement de lentrevue en a été riche.
o) Réjane et Jean D font sentir lamour quils se portent mutuellement : « Ce qui ma beaucoup marqué, cest de rencontrer Jean à lâge 19 ans ». Ils ont vécu douloureusement la période de la guerre, Jean a perdu son père juste avant la guerre, à lâge de 10 ans et Réjane la perdu des suites de la guerre durant laquelle il était prisonnier : « mon père était prisonnier il était dans un état pitoyable, puisquil était très grand et il pesait 55 kilos à son retour, il avait son estomac déformé, alors ça cest une image très, très forte en moi, euh, de voir la radio dpapa, une chaussette, et maman faisait dla bouillie pour quil mange ». Réjane a occupé des fonctions dassistante sociale, a poursuivi ses études : « Ma carrière a été très dure, euh, jai un diplôme dEtat de service social, je suis à lUniversité à lâge de 50 ans, et jai une formation supérieure en sciences sociales » Elle garde des souvenirs pénibles de sa carrière : « jétais dans une région, très, très alcoolique, papa, maman buvaient, les enfants étaient battus, il y avait des rejets, euh, parentaux, des rejets sociaux, à savoir que les enfants étaient mal acceptés à lécole, que les enseignants acceptaient mal un métier qui était très dur, donc, euh, je, jétais appelé comme les pompiers » Jean a travaillé à la maison, et cest surtout lui qui a élevé leur fille : « jai une chance que, étant à la maison, nous avons eu Catherine, petite, et moi, jai pu parce que jétais toujours à la maison, le chemin de lécole (Jean en parle, parce quil continue de la prendre, en effet, il va chercher ses petits enfants), vous voyez, je connais depuis de nombreuses années, parce que jallais chercher Catherine, elle mangeait avec moi, je la reconduisais, Réjane ne la retrouvait que le soir ; Elle était un peu frustrée, par rapport à moi, parce que moi javais, je lai eue quand même beaucoup plus, jai, disons que jai plus pouponné, si on peut dire » Réjane mène une activité associative avec passion, elle peut faire de la gymnastique maintenant, elle navait jamais pu en faire de façon sérieuse durant sa période dactivité : « lorsque jétais professionnelle, euh, je prenais des instructions dans les salles de gym et lorsque jarrivais, et ben cétait fini depuis que je suis à la retraite, je fais 3 heures de gym par semaine une association a un bureau et quon a du mal à trouver des bénévoles depuis 7 ans je suis secrétaire » Jean et Réjane ont un projet de vie en commun et Réjane une vie sociale active.
La leçon de ces constats de vie exceptionnelle ou des objets de remplacement affectifs permet de dégager les forces qui animent les collaborateurs, celles qui leur permettent de continuer une vie affective et une vie sociale.
[1] Cyrulnik Boris (4 octobre 2000) Entretiens avec Jacques Languirand. Transcription Noëllise Turgeon. Productions Minos Ltée.
[2] Cyrulnik Boris (6 mai 2004) Entrevue radiophonique avec Marie-France Bazzo. Emission Indicatif présent de Radio Canada.
[3] Cyrulnik Boris (15 mai 2004) Entrevue radiophonique avec Paule Thérrien. Radio Canada Saguenay.
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