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La reconnaissance et la méconnaissance des personnes âgées

La dénégation de la vieillesse et de la mort révèle bien le refus de l’homme à se considérer d’abord comme un être de chair.

La reconnaissance des personnes âgées 

     La reconnaissance, dans l’ordre social, ne laisse place à aucune méconnaissance, ne donne lieu à aucun malentendu : elle est intégralement réparatrice ; tout est expliqué, élucidé. Reconnaître, c’est apprendre (et par suite comprendre) ce que déjà on savait. (V.Jankélévitch)

    L’implication personnelle des personnes âgées dans la vie citoyenne représente un capital non négligeable dans l’action sociale et publique. La reconnaissance sociale importe aussi pour les aînés qui peuvent construire des projets citoyens en tronc commun avec d’autres catégories d’âges : démocratie, réflexion sur la discrimination et l’insécurité, analyse politique, éducation permanente, aide sociale, négociation, respect de la mémoire. Leur démarche vise donc à assurer une transmission continue des expériences et des savoirs entre chaque génération porteuse de sa propre culture.

La société et les personnes âgées

     Comment la société s’adapte-t-elle à son propre vieillissement? Le contraste est grand entre le petit nombre qui, détenant soit le pouvoir, soit la fortune, fait courir un risque de gérontocratie, et la grande masse de personnes âgées qui, inactives et dotées de moyens modestes, sont réduites à une condition passive. Leur nombre a pourtant des conséquences économiques, financières et sociales. L’importance des «transferts sociaux» entre actifs adultes et inactifs âgés a certes une base démographique, mais elle dépend aussi de l’histoire sociale: tel avantage accordé antérieurement pour résoudre une crise peut, de longues années après, peser d’un poids singulier sur l’ensemble de l’économie. Bien souvent, l’engagement pris aux dépens des générations suivantes n’a tenu compte ni des modifications de la technique, ni de l’évolution différentielle de la longévité.

     Enfin, l’allongement de la vie modifie le calendrier de transmission des biens (capitaux et entreprises); c’est particulièrement vrai en agriculture où l’âge moyen des exploitants s’élève d’autant plus que, du fait de l’exode agricole, la proportion et le nombre des jeunes adultes diminuent. C’est aussi la raison pour laquelle un nombre relativement limité des veuves peuvent, dans certains pays, détenir une part exceptionnellement élevée des capitaux privés. Cette évolution peut être positive dans la mesure où elle encourage les générations plus jeunes à ne pas faire dépendre leur niveau de vie d’une succession hypothétique.

Conditions de vie des personnes âgées

    Les conditions de vie des personnes âgées sont, en général, très inférieures à celles du reste de la population. Le niveau de vie baisse de 30 à 50 p. 100 lors du passage à la retraite ; cette baisse est d’autant plus ressentie que les besoins, réels ou subjectifs, ne diminuent pas à la même cadence. La forte proportion d’anciens travailleurs à qui il faut verser une aide sociale montre l’insuffisante couverture du risque «vieillesse» Le développement des régimes de retraites complémentaires permet d’espérer une amélioration et montre, en tout cas, que les salariés admettent la nécessité d’un prélèvement plus fort sur leurs revenus pour s’assurer une vieillesse moins médiocre. Le thème de la «protection du niveau de vie» revient constamment dans les congrès de gérontologie comme dans les colloques de politique sociale.

     L’activité, encore sensible entre soixante et soixante-cinq ans, procure quelques ressources, mais on note une baisse rapide des taux et si, pour des raisons psychologiques et économiques, il paraît souhaitable de ne pas décourager cette activité, il est préférable de ne pas fonder trop d’espoirs sur cette solution.

     La détérioration de l’état de santé, liée à une progression de l’isolement, soumet le vieillard à un risque particulier. La rapidité de l’intervention en cas d’accident, la fréquence et la qualité des soins pendant une maladie courante peuvent diminuer de beaucoup le recours à l’hospitalisation, solution qui déclenche souvent un traumatisme psychologique.

Vieillissement et représentation sociale de la personne âgée

     La vieillesse est mise à l’écart car elle rappelle la précarité et la fragilité de la condition humaine dans une société qui pose comme valeurs de la modernité la jeunesse, la séduction, la vitalité et le travail.

     Vieillir, en occident, surtout dans les couches populaires, c’est effectuer un lent travail de deuil qui consiste à se dépouiller de l’essentiel de ce que fut sa vie : « désinvestissement de soi qui aboutit au rétrécissement du territoire » L’aîné est réduit à son seul corps et intériorisant le discours social faisant de la vieillesse un naufrage, il admet comme légitime le fait de n’avoir plus qu’un contrôle restreint sur son existence.

     Quatre composantes peuvent définir l’image du corps (la façon dont on se représente le corps) :

     Ces 4 composantes dépendent d’un contexte social, culturel, relationnel et personnel. Comme c’est la valeur qui est le point de vue d’autrui et comme la vieillesse est codée négativement, la personne vieillissante se déprécie (sentiment plus fort chez la femme que chez l’homme ; chez l’homme sont valorisées l’énergie, l’expérience et la maturité…la séduction des tempes grises)

     Ce qui disparaît de l’image publicitaire, ce sont les transitions comme l’adolescence, la ménopause, le grand âge. Et naturellement la faiblesse et la maladie. En somme ce qu’il s’agit de gommer, c’est l’existence du vieillissement, c’est-à-dire du temps.

     On sait que la ménopause est maintenant considérée à juste titre comme une source majeure d’infirmités (aggravation du risque cardio-vasculaire, fracture du col du fémur secondaire à l’ostéoporose) Il est donc devenu évident que la ménopause doit être traitée. Mais faisant cela on ralentit l’essentiel du processus de vieillissement chez la femme, qui voit en quelque sorte sa jeunesse se prolonger. La question qui est posée aux médecins est de savoir combien de temps on doit traiter la ménopause ; et l’accord se fait sur 5 à 7 ans. Mais quelle est la justification de cette durée ? Rien, biologiquement, ne s’oppose à l’idée de traiter indéfiniment. Ce qui gêne ici, c’est peut-être le vertige qui prend à l’idée que les hommes auraient inventé l’eau de jouvence (et que seules les femmes en profiteraient)

     On sait que dans d’autres sociétés (africaines par exemple), la situation est différente, même s’il est imprudent de l’idéaliser. Quelle que soit l’explication qu’on en donne le fait de déléguer le pouvoir de décision aux anciens a pour double conséquence que ces derniers demeurent des acteurs du jeu social (et il est assez logique de confier un rôle de réflexion à ceux qui n’ont plus les moyens de l’action), et que les jeunes savent qu’avec l’âge leur tour viendra de commander. Cela fait que ni les uns ni les autres ne tiennent la vieillesse pour un naufrage social.

La méconnaissance des personnes âgées

     La méconnaissance est génératrice de malentendus ; c’est une connaissance à laquelle il ne manque rien ou presque-rien ! Elle se distingue à la fois de l’inconnaissance qui est ignorance pure et simple et de l’inconnaissance qui est « docte ignorance » (V. Jankélévitch)

     L’ignorance pure et simple des personnes âgées, dépend des moins vieux et des vieux eux-mêmes ; dans la société actuelle il y a les tenants du paraître jeune, conscients et inconscients, qui refusent de faire partie d’une catégorie de personnes âgées et qui éviteront d’approcher le sujet du vieillissement. Il y a les plus jeunes qui s’inscrivent dans une dynamique de vie active ou de recherche d’emploi ; pour eux, le vieillissement ne les concerne pas si ce n’est par l’âgisme ambiant qui véhicule l’idée de la prise en charge des personnes âgées par les populations plus jeunes ; prise en charge de la retraite par répartition, annoncée comme catastrophique pour la prochaine décennie, et dont ils seront les premiers concernés, prise en charge du handicap ; en somme la vision qu’ils peuvent avoir des vieux, est celle de l’effort de solidarité qui va s’amplifier.

     Il y a des professionnels qui ne restent pas sans agir ; les démographes, les économistes, les gérontologues, les sociologues, les professionnels de la santé au contact des aînés ; encore faut-il que leur connaissance des anciens soit ancrée dans une démarche humaniste approchant le développement humain, l’évolution ; une démarche d’écoute active et objective.

     Le vieillissement est individuel, et notre société s’intéresse surtout au groupe, agit sur le groupe, catégorise les groupes d’individus.

     La « docte ignorance » est révélée par H. Laborit : Croire que l’on va retarder le vieillissement des individus sans rien changer au type de société où ils vivent est aussi illogique. Il faudrait pour cela les rendre pharmacologiquement indifférents à leur environnement. N’est-ce pas ce que font, de façon encore grossière, les « tranquillisants » ? Mais comme ces systèmes sociaux sont basés sur la compétition hiérarchique et l’établissement des dominances, ou bien ces systèmes sociaux s’effondreront, ou bien les dominants conservant leur agressivité et la gratification liée à la dominance, constitueront un groupe peu nombreux, satisfait et conservateur, régnant sur une multitude tranquillisée, sans motivation, parfaitement conforme et standardisée : le « Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley sera réalisé. Notons d’ailleurs que pour en arriver là, la pharmacologie n’est pas indispensable. La culture y a longtemps suffi. La création d’automatismes socioculturels, les gratifications hiérarchiques, honorifiques ou pécuniaires, qui le plus souvent ne font que récompenser le conformisme auquel les individus ont sacrifié leurs pulsions et leurs désirs, s’en charge déjà. Malheureusement, les automatismes mis en place dans les systèmes nerveux dès la naissance, consolidés au cours de l’enfance et de l’adolescence, et qui sont à la base de tous nos jugements de valeur, entrant en conflit dans notre inconscient avec les pulsions hypothalamiques, sont, à notre avis, une des causes premières du vieillissement par l’intermédiaire de la réaction neuroendocrinienne qu’ils déclenchent et entretiennent. La tranquillisation pharmacologique ne représente alors qu’une thérapeutique symptomatique et non étiologique… La connaissance croissante que nous acquérons des mécanismes biologiques du vieillissement, si elle ne débouche que sur une thérapeutique de l’individu et non sur l’établissement d’une société plus consciente et plus permissive, ne fera que prolonger l’existence de l’homo faber et de l’homo mercantilis sans faire progresser l’espèce vers l’avènement de l’homo sapiens, c’est-à-dire de celui qui se connaîtra lui-même… Or, jusqu’ici la gérontologie débouche sur une gériatrie palliative, sur un replâtrage plus ou moins habile du vieillard et de son environnement, mais les facteurs socio-économiques du vieillissement sont bien rarement envisagés, si ce n’est de façon punctiforme, par analyse de sous-ensembles sociaux ou économiques. Jamais le problème social, comme facteur de vieillissement ou comme façonnant l’environnement du vieillard n’est abordé sous l’angle général de la biologie du comportement humain en situation sociale, celui des hiérarchies et des dominances. L’analyse aboutirait à une remise en cause fondamentale de tous nos jugements de valeur, de toutes les raisons de vivre de nos sociétés, à savoir l’expansion, la production des marchandises et le profit comme moyens de maintenir les échelles hiérarchiques et les dominances individuelles et de groupes, de nations ou de blocs de nations. Il en résulte que si l’espérance de vie a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, grâce à la diminution de la mortalité infantile et au contrôle hygiénique et médical des grands fléaux infectieux, elle stagne et même rétrograde pour certains pays évolués du monde industriel.

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